"Napoléon III ou l'empire des sens", une histoire par l’alcôve

Napoléon III. Maudit de la République dont les demi clercs se repassent à l’envi le terme de « Badinguet », définitif d’autant plus qu’il est obscur (étant lui-même le surnom du maçon Pinguet dont le déguisement a permis au prince impérial de s’évader du fort de Ham). Une façon qu’ont les gens du commun de clouer l’autre au pilori pour se donner une force qu’ils n’ont pas. Tant de tentatives de réhabilitation (sic) qui n’ont pas abouti, dont certaines furent de poids (le bon goût est parfois notre ennemi personnel) : Philippe Séguin maire d’Epinal et président de l’Assemblée Nationale, autrefois.

Une petite lorgnette mais une bonne vue !

Pénétrons dans la vie de Napoléon III par l’alcôve, heureuse introduction gauloise de l’année (dans la mesure où il a créé le personnage de Vercingétorix au point de vue politique, voila qui est en ordre). L’entremetteur de notre affaire est Michel de Decker, né en 1948, écrivain de l’étonnante et somme toute vivace galaxie des écrivains normands (salut « Julie-aux-joues-rouges »), qualifié de « magicien de l’Histoire » par André Castelot. Il est donc de la veine des « conteurs » et non des « scientifiques » ; deux gisements qui se feront toujours la guerre parce qu’il faut choisir la bonne rive du Rhin comme frontière, et que c’est incertain. Les seconds jalousent leurs lecteurs aux premiers… Veuillez accepter ces trois points de suspension qui dépassent largement le cadre de cet article. Gageons en guise de conclusion digressive que Michel de Decker a une formation de professeur d’Histoire.

Quand les parents sont incertains…

L’origine de Napoléon III est déjà équivoque, tout est signe dit-on, le sien transformerait un aveugle en lynx ! Son père est un triste sire qui porte la nuit une chemise de galeux pour se guérir d’une maladie « maupassante », superstitieux comme un Corse, et sa mère confirme que la « pastille » est définitivement tombée un quatorze juillet pour s’ouvrir à tous les vents de la liberté. En deux mots Louis et Hortense ; Bonaparte et Beauharnais.

Sous la ceinture …

La vie sentimentale de Louis-Napoléon Bonaparte est absolument stupéfiante, au même titre que son incorrigible optimisme, l’étoile napoléonienne l’habite (hum !). Michel de Decker nous offre un voyage à toute vitesse, écrit avec entregent. Il nous fait plaisir de la plus authentique des façons, en se faisant plaisir, de façon bonhomme. Braconnant sans trêve la minette dés sa première paysanne à l’âge de quatorze ans (on dirait notre rédac-chef !!!), il manifeste le même empressement priapique et souvent aussi peu délicat que celui de son oncle (?) illustre. Rien ne l’arrête. Même pas le ridicule. Un jour il s’introduit déguisé en femme chez une comtesse italienne. Il menace de se suicider si elle ne cède pas à ses avances… Il saute par la fenêtre pour échapper au bâton que l’amant en titre de la dame, appelé à la rescousse, est tout disposé à lui administrer. Fuite piteuse sous les rires… On suit notre aventurier. Il est véritablement amoureux de sa cousine Mathilde, mais une tentative de coup d’état (encore ridicule) mettra fin à cette idylle. Le « véritablement »  semble justifié, car, cette fois, il ne semble pas confondre désir et amour. Cet homme est la preuve historique que le ridicule ne tue pas ! Nous voici dans un autre épisode, son incarcération au fort de Ham. Il engrosse à … la chaîne, en cette époque bénie des machos où les femmes ne se piquaient pas d’égalité (mot employé par les cuisses, pardon, les cuistres pour exprimer une supériorité de « précieuse ridicule », toujours selon les horribles machos, s’entend). La sollicitude de Louis-Philippe à l’égard des amours ancillaires qu’il a lui-même pratiqués (engrossant même la fille d’un pasteur finlandais qui l’avait secouru pendant la tourmente révolutionnaire, c’est quand même pas chic !) est très amusante… Notons qu’une partie de la fortune de ces hommes illustres est absorbée  pour doter les bâtards ! Dissolus mais élégants ! 

Mais au-dessus aussi !

Il serait abusif de réduire l’histoire que l’auteur nous conte à une collection drolatique d’affaires de mœurs. On y voit un Bonaparte surprenant. Il sait allier ses histoires d’alcôves avec une activité intellectuelle débridée, chaotique et moderne, notamment dans ses visions économiques. S’il a été un fort mauvais élève, il a quand même été formé à réfléchir par un disciple de Saint-Simon. Son incarcération, il la surnommera plus tard, non sans humour, « l’université de Ham ».  Il reçoit, sculpte (un aigle…), réfléchit, vit… le format d’un article ne saurait épuiser un livre d’histoire « à la Castelot » en plus efficace encore, qui laisse la plupart des romans dans les landes de l’ennui. Il y a un adage là-dessus, devenu proverbe…

« Last but not least », voici notre homme confronté au problème de la fidélité conjugale. Il résiste six mois mais cède devant deux phénomènes : une Andalouse glaciaire (n’en déplaise à Nicolas Hulot, le climat échappe aussi aux Hommes), et une Andalouse affligée de flatulences nauséabondes et persistantes (sic !)…

Un achat sans regret. Tiens, si on comparait avec les histoires « touche-pipi » de notre président ?

L’auteur passe notre défunt héros au crible des sept péchés capitaux, à la fin de son ouvrage… C’est gentil sans être niais, c’est délicieux car profondément humain… Les anecdotes sont tellement croustillantes qu’on regrette l’absence de notes…
A déguster avec un verre de bon vin.

Didier Paineau

Michel de Decker, Napoléon III ou l'empire des sens, Belfond, janvier 2008, 305 pages, 19 € 

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9 commentaires

Mouaip...Bof! Si une connaissance raisonnée de la vie privée de nos hommes politiques permet d'éclairer-pas d'expliquer- parfois leur comportement, le voyeurisme excité et la violation des secrets de l'intime ne peut être invoqué comme méthode historique valable pour connaître les gens, puissants ou vulgum pecus.

En ce sens, aller raconter qu'une des maîtresses de N3 pêtait au lit ou que son père avait une chaude pisse n'a d'interêt que pour les lecteurs d'un magazine d'histo-réalité qui reste à créer, mélange d'Historia, du loft et de Voici. Savoir que Hitler n'avait qu'un testicule de descendu reste quand même de peu d'utilité pour comprendre la shoah, et savoir quelle quantité de sperme de Clinton se trouvait encore sur la robe bleue de Monica ne permet pas de comprendre son plan de sécurité sociale.

C'est même l'inverse : à se focaliser, avec la jouissance ironique et un peu méprisante du voyeur-qui se croit supérieur- sur de semblables sous-détails sordides, on en perd de vue l'essentiel de ce que sont et ce que font les politiques. En le pire, c'est qu'on sent bien, à travers cette chronique du livre, la fascination désormais assumée quasi fièrement, pour la vie des grands hommes vue par le trou de la serrure des toilettes . "Tiens, si on comparait avec les histoires « touche-pipi » de notre président ?" Manifestement, on y a pris goût, au sordide, dans l'opinion...

Mais attention, en plus d'être étriqué et immoral, le secret d'alcôve est un prisme déformant et inadequat pour comprendre le monde et les gens. La preuve : les auteurs de semblables livres et l'auteur de cette chronique seraient totalement indignés qu'on leur appliquât à eux mêmes.

Vous avez raison. Sauf que parfois, les histoire d'alcôves ou les détails privés permettent d'illustrer ou de comprendre la "grande" histoire. Deux exemples :
- les calculs dans la vessie dont souffrait N3 qui expliquent son comportement à Sedan ;
On ne peut pas comprendre N3 sans entrer dans le détail de sa sexualité débridée (ainsi que celle de son demi frère, Morny) qui a influencé certaines décisions. On sait bien que certaines maîtresses ont plus d'influence politique que certains conseillers.
- ou N1 ayant un bâtard d'une dame de compagnie de sa sœur Caroline. C'est la preuve qu'il n'est pas stérile, il peut alors répudier Joséphine. Sans cette naissance, le cours de l'histoire n'aurait pas été le même. Dès lors, pourquoi ne pas intéresser aussi au destin de ce bâtard ?

même si le bâtard est infernal ?

Surtout si le bâtard est infernal. Et Dieu sait qu'il le fut !

Il faut toujours faire attention sur l'influence des maîtresses: des fois elle est réelle et des fois pas du tout: la castiglione, par exemple. cavour l'envoie le séduire pour qu'il s'allie au Piémont et faire l'unité italienne. Mais Napoléon III, ancien carbonaro, y pense déjà depuis longtemps. De plus, je pense que la sexualité de Napoléon III est plus une conséquence qu'une cause de sa personnalité. Pour comprendre l'homme, il faut aller étudier son enfance, sa mère aussi (savez vous que jusqu'à la fin de sa vie il garda sur lui la dernière lettre qu'elle lui avait écrit), le précepteur qu'il a eu... bref, je conseille la biographie de Pierre Milza!

Toujours sympa ce genre de bouquin.

 Mettre sur la place publique des évenements intimes comme par exemple le priapisme de DSK, ou le cancer de Mitterrand a en effet un certain interêt pour comprendre des prises de position ou des réactions des intéressés face à des évenements précis. Décrypter "l'influence d'oreiller", de la Maintenon à V.Trierweiller sert indéniablement la compréhension des puissants, on est d'accord. Mais la méthode porte en elle ses propres limites : commencer à expliquer  la défaite de 1870 par la prostate de N3 montre bien qu'à chercher à tout des causes secrètes et intimes, on va perdre de vue l'essentiel.

Sans compter que transparence à tout prix en ce domaine a un effet pervers, celui de laisser à penser que nos hommes politiques doivent être lisses, parfaits, moraux, cohérents à chaque instant de leur vie passée et présente, ce qui paraît, l'âme humaine étant ce qu'elle est, totalement irréaliste et même dangereux : les gens lisses, sans jardin secret et sans passions ne sont que des robots sans âme auxquels il est certainement dangereux de confier son destin.

quand la place publique a plusieurs siècles, qui va s'en offusquer ? ce livre ne prétend pas tout dire de son sujet, mais le présente sous un angle un peu nouveau et pas inintéressant. 

Batard, oui, mais quel batard!