"Race et esclavage dans la France de l'Ancien Régime", Un exposé claire et passionnant qui sort des idées reçue

Un exposé claire et passionnant qui sort des idées reçues ! Génial !

La France a bien changé de visage depuis quarante ans.  La proportion de nos concitoyens d’origine antillaise et africaine est forte. À partir de ce phénomène, il est  évident que les historiens explorent une piste négligée : la place de gens de couleur, comme on dit, dans la société française. On notera la parution de l’Histoire des Antilles françaises dans la collection Tempus chez Perrin. L’ouvrage que je présente appartient à ce courant.

Un auteur « border-line » et conventionnel…

 Pierre H. Boulle est professeur d’université à Montréal. Dans la présentation qu’il fait de lui, il conjugue une pointe d’amertume à l’égard de la Mère Patrie. Français de l’extérieur, d’où lui vient cette acrimonie ? C’est un mystère parallèle du livre. Peu importe à vrai dire. La quatrième de couverture est- pour une fois-  « à la hauteur ».  A une époque où on parle de « Blacks », terme  « américanoïde » servant à définir une recherche d’identité menteuse outre-Atlantique,  l’ouvrage de Pierre H. Boulle expose froidement, modestement, la réalité des faits. Voila un ouvrage d’Historien qui présente la qualité et  le défaut d’être scrupuleux, détaillé, sûr de ses conclusions avec les réserves d’usage ( c’est-à-dire « anti-médiatiques-fanatiques ! »). Certes il se présente comme une succession d’articles ; mais cela a un avantage : se « réhydrater » par des répétitions sur des sujets arides, notamment statistiques. 

Le terme de « racisme » a été bien utilisé dans tous les sens. L’auteur l’utilise comme il doit l’être. Le raciste est celui qui se considère comme biologiquement supérieur à son voisin. Vous lisez bien ! Le gars d’à côté est une espèce  de clébard qu’on peut aimer puisqu’il est d’une espèce inférieure. La genèse du racisme en France est expliquée de manière claire et distincte.

Racisme kézaco ?

Au  Moyen Age, notre beau pays est le pays des Francs, donc le pays des hommes libres. L’esclavage est interdit. Toute personne qui le pied chez nous est automatiquement affranchie. Certes peu à peu avec la découverte de l’ampleur de la planète (jouons nos précieuses ridicules), une méfiance voire un mépris de l’autre apparaît, contrebalancé par une curiosité positive, lié à la couleur de peau. Cela ne suffit pas à fabriquer un raciste. Les choses évoluent avec l’expansion coloniale de la France. Un premier empire apparaît à partir du XVIe siècle. Elles évoluent surtout quand le sentiment religieux perd de son unité donc de sa cohérence pendant les guerres de religion.

Un pavé dans la mare

L’auteur met l’accent sur  un texte court, confidentiel, mais très significatif de François Bernier en 1684. Etudiant et ami du philosophe libertin (donc on ne peut plus  sceptique sur les « vérités bibliques révélées ») Gassendi (1592-1655), Bernier, docteur en médecine, est surtout connu pour son voyage en Asie du sud entre 1665 et 1667. Il suggère naïvement une hiérarchie des races qui est fondée sur des critères pseudo-scientifiques et… les considérations esthétiques assez capricieuses de l’auteur. L’Européen est au centre du monde et les autres en procèdent de façon dégénérée, c’est touchent et prête à sourire. Boulainvilliers est dédouané du racisme qui lui est généralement collé comme une guigne.  S’il prétend que la noblesse est supérieure au Tiers Etat, descendante d’un harmonieux mélange entre Francs et Gaulois « virils », cela n’a rien de racial mais c’est plutôt un esprit transmis tant par l’éducation que par le mode alimentaire. Déroger a tout son sens dans la langue française.

Le groupe de pression colonial prend de l’importance au XVIIe siècle. On parvient à arracher à Louis XIII, dont la dévotion est pure et forte, une dérogation un peu perverse. On pourra pratiquer l’esclavage aux colonies mais pas en France… Au nom de la nécessité morale d’arracher les Africains à l’obscurantisme de leurs croyances et de pouvoir les instruire dans la vraie religion. Cela se passe en 1625. La pensée raciste se construit peu à peu. Elle touche les élites mais pas le peuple qui accepte les mariages mixtes et n‘est à l‘origine d‘aucune émeute raciale. Les classifications de Buffon au XVIIIe siècle permettent aux philosophes des Lumières — si admirés encore en France — de construire un racisme tranquille. 

La décision de Louis XIII connaît de multiples entorses dans les décennies qui suivent. Les « importants » des colonies françaises ramènent des esclaves en métropole. Des complications apparaissent. Des esclaves s’échappent et obtiennent leur liberté mais leurs maîtres ne l’entendent pas de cette oreille. Il y a procès, discussions… En 1777 environ 5000 noirs sont établis en France, dont une majorité à Paris. Les autorités s’inquiètent d’une éventuelle pollution du « sang français » et entreprennent de séparer le bon grain de l’ivraie: qui est esclave et qui ne l’est pas ?  On mène une enquête administrative, avec toutes les imperfections et les exceptions délicieusement humaines  dont l’Ancien Régime a le secret, on ne touche au maître parfumeur de couleur, établi, marié à Cassis ni au père de quatorze enfants métis, artisan à Brû, dans la future Eure. Le but est de renvoyer les esclaves aux colonies afin de diminuer la présence des Non-Blancs en France.  Il faudra attendre la Révolution et la loi de 1791 pour établir sans nuance le principe libérateur du territoire métropolitain.

La suite de l’ouvrage est une étude sur la situation sociale et le devenir des Non-Blancs en France. C’est un peu aride mais rigoureux.
Un ouvrage à lire et à réfléchir.

Didier Paineau

Pierre H. Boulle, Race et esclavage dans la France de l'Ancien Régime, Perrin, septembre 2007, notes, graphiques, appendices, 21,00 € 

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