Bir Hakeim, où comment la wehrmacht s'enlisa dans les sables du désert.

Soixante-dix ans après

 

L’ouvrage de François Broche, publié en 2008, bénéficie d’une édition poche qui coïncide avec le soixantième anniversaire de la bataille de Bir Hakeim. Depuis les années quatre-vingts, l’histoire de la seconde guerre mondiale s’est polarisée, en France du moins, sur la mémoire de la Shoah (occultée jusqu’au milieu des années soixante-dix) et sur la participation apportée par l’Etat français, incarnée dans la personne d’un maréchal Pétain dont le prestige berna la quasi-totalité de la population, à la déportation et l’extermination de juifs Français. On a beaucoup glosé ces trente dernières années sur la responsabilité française dans les déportations - voir le récent discours du nouveau président de la République sur la rafle du vel d’hiv’ et les commentaires qu’il a suscités dans la société et la classe politique françaises -, au prix de l’oubli progressif des combats menés par la poignée de soldats de la France Libre. L’engagement de ces maigres forces était voulu par le général de Gaulle pour que la France participe et tienne son rang lors de la victoire finale - le plus étonnant est que ce fut le cas, grâce aussi à l’action de Churchill à Yalta. Alors Bir Hakeim : simple escarmouche ? Combat d’arrière-garde ? Et quelles conséquences sur la conduite de la guerre ?

 

Un échec de Rommel

 

L’auteur a minutieusement reconstitué la bataille et a adopté une approche chronologique qui, en histoire militaire, paie bien. Il en ressort que les soldats français ont mené dans le désert libyen un combat qui a bousculé les alliés italiens de Rommel - l’armée italienne fut le maillon faible de l’axe pendant toute la seconde guerre mondiale - et surpris le maréchal préféré de Hitler. Les combats débutent le 28 mai et s’achèvent dans la nuit du 11 Juin : le gain de temps fut considérable pour les Britanniques qui purent renforcer leurs lignes de défense. Rommel, blessé dans son amour-propre, concentra des moyens humains et matériels qui lui firent défaut ailleurs. Les soldats de Koenig, malgré les bombardements et des conditions climatiques difficiles, pourtant en infériorité numérique constante, tinrent bon.

 

Selon certaines sources, Hitler se serait fait projeter des images de la bataille filmées par l’Afrika Korps. Impressionné par le comportement des soldats français au feu, il en aurait conclu que jamais, malgré les efforts désespérés de Vichy, la France ne pourrait être l’alliée du troisième Reich. Quelle n’aurait pas été sa rage s’il avait appris le caractère composite de la troupe de Koenig : Français, Belges, républicains espagnols mais aussi Congolais, Maoris, Caldoches, Vietnamiens, Libanais et Syriens, Algériens et Marocains et même, dans la légion étrangère, des sous-officiers allemands et autrichiens. Le mythe de la race supérieure en aurait pris un sacré coup.

 

Conséquences morales

 

Elles furent positives et précieuses pour de Gaulle qui, rappelons-le, n’est pas à l’époque reconnu officiellement par les Etats-Unis (il ne le sera qu’à l’été 1944). Défaite sur le terrain (les Français évacuèrent leurs positions), Bir Hakeim fut utilisée par la France Libre pour démontrer que non, la France n’avait pas abandonné le combat, que les Français n’étaient pas des lâches et qu’ils pouvaient se battre en première ligne - ce qui n’empêcha pas les Américains de cantonner l’armée d’Italie en 1943 à des missions de deuxième ordre, du moins au début de la campagne. Notons aussi l’impact sur les opinions anglo-saxonne et française et le prestige retiré par de Gaulle auprès des résistants qui facilita ensuite la tâche de Jean Moulin pour unifier les différents réseaux sous son autorité.

 

Clair, concis, l’ouvrage de François Broche permet de relire une page oubliée de la seconde guerre mondiale, période riche, noire, complexe dont on peut un jour espérer une mémoire à la fois vivante et apaisée.


Sylvain Bonnet


 François Broche, Bir Hakeim, Perrin, "Tempus", mai 2012, 224 pages, 8,50 €


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3 commentaires

anonymous

Anecdote: François Broche est le fils du lieutenant-colonel Félix Broche mort à Bir Hakeim: (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Broche).

Tout à fait exact, merci de l'avoir signalé.

Si "techniquement" Bir Hakeim fut une défaite, moralement et politiquement, la résistance inespérée des hommes commandés par le clairvoyant Pierre Kœnig* est une victoire. Sur le terrain de la guerre du désert, l'âpre résistance des free french a permis à la 8e armée britannique de se ressaisir avant de repartir au combat. Winston Churchill: "En retardant de quinze jours l'offensive de Rommel, les Français libres de Bir Hakeim ont largement contribué à sauvegarder le sort de l'Egypte et du canal de Suez."


* "Dominique Lormier, "Kœnig, l'homme de Bir Hakeim", éd. du Toucan, 2012