Ingrid Desjours, la dame à la poupée

A l'occasion de la parution de son troisième thriller, Sa vie dans les yeux d'une poupée, rencontre avec Ingrid Desjours, reine du crime et des pulsions les moins avouables

Comment vivez-vous le statut de "reine du thriller" que vous accole votre éditeur ?


Je suis extrêmement touchée de la confiance de mes éditeurs. Et j'aime qu'ils n'aient pas dit "La" nouvelle reine mais "Notre" nouvelle reine... Une façon de dire : on n'impose rien, il y en a peut-être d'autres mais elle, c'est la "nôtre" et on y croit.  Maintenant, il y a toujours un revers à la médaille, et être estampillée nouvelle reine du thriller, c'est aussi se plaquer une bonne grosse cible bien rouge sur le front, avec au-dessus un néon qui dirait : allez-y dézinguez-moi ! On est dans un pays de coupeurs de têtes, comme j'aime le rappeler, et en général, ça ne rate pas.


Contrairement à une certaine mode, vous suggérez plus que vous ne montrez, la plupart du temps. Pourquoi ce choix ? Vous seriez plus proche de Ruth Rendell que de James Ellroy ?


Je ne cherche ni à me rapprocher ni à m’éloigner du style d’autres auteurs. Encore moins à écrire en réaction à une mode ! Il y a, en effet, des scènes que je préfère suggérer, comme des scènes d’amour pour lesquelles nous avons, finalement, tous nos références et un type de sensualité idéale... Et je pense qu’ici, solliciter l’imagination du lecteur est plus subtil et aussi plus respectueux de la pudeur de mes personnages... 

En revanche, il est des scènes que je décris plus crûment, comme celle du viol qui est très dure. Ce n’est pas par complaisance, mais parce que cette scène est fondatrice - ou plutôt destructrice - de la personnalité de Barbara et qu’il faut vraiment en saisir toute l’horreur pour comprendre ce qui va suivre. Je déplore que, parfois, dans certains films notamment, les scènes de viol soient «érotisées», presque excitantes... Dans mon roman, on n’est pas dans l’assouvissement consenti d’un fantasme mais bien dans une atteinte à l’intégrité d’une femme. Alors je décris avec soin, je mets le lecteur à sa place et le force à tout bien regarder et ressentir... Parce que là, si je lui laissais la possibilité d’imaginer, il chercherait peut-être à se dérober.


A la fin du roman, vous demandez pardon à vos personnages de les avoir malmenés. C'est un peu étrange comme attitude. Quelle est cette relation particulière que vous entretenez avec eux ?


En fait je les considère plus comme des personnes que comme des personnages ! Ils ont un passé, une personnalité... Je connais leur visage, leurs mimiques, leur parfum. Ils sont à la fois mes enfants et mes psys car ils me font aussi grandir, évoluer à travers les épreuves qu'ils traversent et ce qu'ils en retirent. Ils sont aussi de formidables exutoires et me permettent de me libérer de certaines de mes pensées et émotions, de décharger la tension, de me raconter aussi un peu... Je leur suis reconnaissante et ai beaucoup de respect pour eux.


Dur, alors, de quitter ces personnages ? va-t-on les retrouver comme vous l'avez fait pour Garance ?


Extrêmement dur ! S’ils survivent à cette histoire, je ne m’interdis pas de les rappeler très vite... Et s’ils ne survivent pas, rien ne m’empêche d’écrire une préquelle, n’est-ce pas ?


Vos deux écorchés, Marc et Barbara, se répondent dans une danse macabre. Vous aimez la valse ?


J’aime observer le ballet de la vie ! Les pas balbutiants des timides, le pas lourd de ceux qui ont besoin de s’imposer, les entrechats des fourbes... Et bien sûr les pas de deux ! Plus généralement, qu’ils se fassent valse, tango ou même pogo, je prends beaucoup de plaisir à décrypter l’harmonie ou la cacophonie des rapports humains...


Si je vous dis "votre roman est un huis clos et tout ce qui se passe dehors n'est que ramifications des drames du dedans", vous me dîtes ?


Que vous me posez des questions drôlement complexes ! Et qu’au final on perçoit d’un livre ce qu’on est prêt à en percevoir... 

Plus sérieusement (quoique), je pense que c’est une analyse très fine - flagornerie mise à part : vous avez déjà rédigé votre chronique - et que la réciproque est vraie aussi, ce qui est au-dehors a façonné ce qui est au-dedans. (Si on perd des lecteurs à cause de cette question, je vous trucide)



Il y a beaucoup de références culturelles dans votre roman, comme un jeu. On peut révéler notamment la réécriture du Portrait de Dorian Gray et vos anagrammes (révélées chez Michel Field). Vous prenez un tel plaisir à écrire ?


Pour cette merveille d’Oscar Wilde, c’est plus clin d’œil qu’une ré-écriture (qui serait une tentative éminemment prétentieuse) !

Même si certaines scènes ou réflexions ont été très éprouvantes à écrire, raconter des histoires reste pour moi un plaisir immense. Je m’amuse à être marionnettiste de mes personnages, comme de mes lecteurs ! J’aime créer des connivences, qu’elles soient culturelles, anecdotiques, humoristiques ou casse-têtiques ! (oui la rime est pathétique). Ainsi, on peut retrouver une allusion à un personnage de mes deux premiers romans dans celui-ci... Le titre du premier, Echo, s’y est aussi glissé à plusieurs reprises... J’y ai intégré un mot «défi» suggéré par mes lecteurs... Et il y a bien sûr des anagrammes, histoire de prolonger le plaisir... Ou la torture ! C’est très important, pour moi, de maintenir un lien, et que ce rapport se fasse sur un pied d’égalité. 


Ce roman vous a habitée. Comment, maintenant, vous laisser imprégner d’une autre histoire, voire d’autres personnages ?


Vous savez, au fond, tout ça c'est comme une histoire d'amour qui s'achève. Même si ça déchire le cœur, on apprend à laisser partir ceux qu'on a aimés, à garder un peu d'eux au fond de soi, pour les jours froids... et on découvre que les quitter nous permet d'aller à la rencontre d'autres qu'on va trouver beaux et qui sauront aussi nous faire vibrer de nouveau....



Propos recueillis par Loïc Di Stefano

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2 commentaires

Une interview de l'auteur INGRID DESJOURS est toujours un plaisir....Voilà un auteur qui s'exprime avec des mots simples, qui prend du recul par rapport aux dires des uns et des autres....Qui répond avec sincérité, humour mais aussi qui dit ce qu'elle a à dire sans langue de bois ! Rare....Et à noter...Voilà un auteur qui a un talent, qui a du talent, qui a LE TALENT mais qui reste elle-même...Ces thrillers vont crescendos et c'est beau...Son écriture est belle, fluide mais sait être hard voire choquante pour que le lecteur ne s'égare pas et sache, voit ce qu'est la réalité de certaines violences. Voilà un auteur que j'aime, pour qui j'ai un profond respect...Voilà un auteur à qui je dis MERCI, merci d'écrire et de rester elle-même...Voilà un auteur que j'aime et que je suis Fière très Fière d'aimer...Voilà un auteur qui oui je le dis est "Une Reine" ! Elle EST et suis heureuse qu'elle SOIT ! Encore MERCI Ingrid d'être juste VOUS et de rester juste VOUS....Surtout n'arrêtez pas, jamais d'écrire, vos écrits sont de purs joyaux si on sait les lire...Ne jamais lire du INGRID DESJOURS au premier degré...Voir toujours au delà des mots ! Toujours.....MERCI INGRID D'EXISTER ET D’ÊTRE...

Nous transmettrons cette belle déclaration d'amour !