Giono, le doigt dans l'œil !

L'évidente méprisante mauvaise foi partisane de Giono envers la langue d'oc en général, provençale en particulier, est aujourd'hui bien connue de tous.

C'est, en effet, au cours de l'un de ses entretiens radiophoniques, celui mené – si je ne m'abuse – en juillet 1965, par les soins de son ami l'écrivain nîmois Jean Carrière, qu'il déclare ne vouloir lui reconnaître le statut de langue à part entière qu'une fois qu'on lui aura un jour présenté un travail de scientifique rédigé en provençal.
Je le cite : Je considérerai que le provençal est une langue quand je verrai un traité de géométrie en provençal, ou un traité de trigonométrie en provençal, ou une chimie en provençal ; à ce moment-là, je dirai c’est peut-être une langue. (Transcrit dans Jean Giono. Qui suis-je ?, Lyon, La Manufacture, 1985, page 91.)
J'adore, au passage, ce peut-être d'irréductible – autant que ridicule, il faut bien le dire – entêtement et à priori dans le déni !
Et puis tu parles – on va le voir – d'un solide argument ! Rayant ainsi de la carte – comme de légitime autorité compétente, et sans la moindre ombre d'un doute à la clé – toute une part majeure de l'abondante et richissime culture, littéraire y comprise bien entendu, de ce qu'il est convenu d'appeler l'arc méditerranéen. Arc occitan à vrai dire, qui, linguistiquement monte haut, quasiment jusqu'au mitan de la France.

Je dois dire que jusqu'à ce jour, j'ai toujours moi-même cru, comme Giono – mais moi uniquement par pure ignorance, ignorance à laquelle Giono, délibérément, ajoutait un parti pris flagrant et une bonne dose de mauvaise foi patente – que cette pourtant irrecevable exigence de traité scientifique comme pièce à conviction incontournable ne pourrait jamais être satisfaite.
Or, coup de tonnerre que voilà : il n'en est rien ! Voici que ce voile de criant mépris négationniste auquel Giono s'est toujours permis de recourir sans vergogne à l'encontre de la vraie réalité historique et de l'authentique identité culturelle provençale se déchire aujourd'hui comme une vulgaire estrasse !
Oui, oui, oui, il existe bien et depuis belle lurette, non seulement un, mais plusieurs traités de mathématiques – et aussi de géométrie ! – écrits dans la langue dont, seul contre tous en somme, Giono s'autorisait sans ambages à purement et simplement en nier l'existence ! Cela sans que pourtant il eût pu ignorer qu'elle soit parlée depuis des siècles, et bien sûr encore du sien, de son propre temps, dans plusieurs territoires, si je puis écrire, de France et de Navarre correspondants, s'il vous plaît, à pas moins de 13 départements français actuels !
Sans jamais l'avoir cherchée il est vrai, la preuve " tangible" exigée par Giono m'est toutefois seulement parvenue hier, depuis Forcalquier, à deux pas de Manosque, venant de la part de l'historien Jean-Yves Royer, documents que voici à l'appui  !
Il suffit de cliquer sur ce lien et sur celui-là aussi pour en prendre tour à tour connaissance : https://occitanica.eu/items/show/3686.
Au besoin, Jean-Yves en tient encore plus d'un à disposition issus de ses recherches et de ses connaissances, tel, par exemple, pour n'en citer qu'un, celui-là par contre encore tout à fait récent : le Dictionnaire scientifique occitan (Matematica - Informatica - Fisica/Tecnollogia - Quimia/ Mineralogia) !

Dommage donc, vraiment, que Giono ne soit plus là en chair et en os, car c'eût été un plaisir rare et, disons-le, fort excitant, que celui d'aller gentiment toquer à sa porte, puis de charitablement l'inviter à s'assoir pour qu'il n'en tombe pas de tout son haut à la renverse, et, à ce moment-là, de lui mettre le fameux traité –  puisque pour lui indispensable preuve flagrante – bien sous les yeux et le nez !
J'imagine qu'il lui aurait fallu dare-dare changer son fusil d'épaule, à moins que, comme je le crains pour lui, il ne lui restât alors plus, par dépit, qu'à en diriger quelque part le canon en l'air, le pointant peut-être alors, qui sait, en désespoir de cause, contre Dieu lui-même !
 
Me revient que Giono s'était aussi une autre fois foutu le doigt dans l'œil, mais c'était alors simplement amusant car ne relevant pas, en rien, du bafouement de l’honnêteté intellectuelle : défendant la civilisation paysanne, il jubilait quelque peu malicieusement de prédire que la machine à garder les moutons n'était pas de sitôt prête à être inventée ! Certes, elle n'existe toujours pas – bien heureusement ! –, mais elle a, si je puis écrire, un alter ego : ce ne sont plus les bergers qui gardent, mais les chiens Patou ou Border collie derrière des filets déroulés délimitant des enclos. Comme de rudes branchages grossièrement tressés avaient déjà cette fonction à en croire certaines pages enluminées des Livres d'Heures...
 
Je vais maintenant volontiers clore et conclure en m'appuyant sur l'une des formules pleines de l'esprit haut provençal chères à ce cher Pierre Martel, alias le moine de Lure, que me cite Jean-Yves dans un précédent courriel de vœux de nouvel an et qui me semble justement tout à fait convenir ici, à toute fin utile au bout de cette courte chronique orageuse : Se lo diable es pas gausit, au mens que siegue pas mosit ! 
Autrement dit : Si le diable n'est pas usé, usagé, hors d'usage, au moins qu'il ne soit pas moisi !
Et de plus, en prime, n'en déplaise à Giono comme au diable lui-même, en provençal ça rime !
 
André Lombard
Article connexes :

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.