Lais narratifs désormais en Pléaide

Voici désormais rassemblés l’ensemble des premiers contes et récits français traditionnellement appelés lais narratifs en un seul volume. Le lecteur aura ainsi une vue d’ensemble sur un courant littéraire qui s’inscrit dans une période restreinte mais fondatrice de l’histoire littéraire de France (de 1160 à environ 1260).
Si le mot lais connaît une ambiguïté sémantique – à son origine il désigne un morceau de musique instrumentale – il s’applique ici à un récit non chanté. Lequel est traduit dans l’idée essentielle de passer les mots anciens vers une modernité compréhensible. Sans pour autant se permettre une re-création du texte. Ni calquer servilement l’original, au contraire, les traducteurs ont œuvré à transposer le récit. C’est-à-dire opérer un transfert de mémoire en vue de permettre un accès aisé aux mots livrés par le manuscrit.

Le vocabulaire médiéval a été conservé autant que faire se peut. En effet, les récits cultivent une esthétique de la concision facilitée par l’allure elliptique de l’ancien français. Lequel, par exemple, se dispense souvent d’exprimer  le pronom personnel sujet… La traduction doit donc tendre vers le même idéal.
Une tâche rendue compliquée par les rythmes différents selon les époques. Comparaison à faire avec la version originale proposée en miroir de la traduction. Une manière de comprendre que le français médiéval n’est ni une langue étrangère ni une langue morte. Mais bien un idiome possédant sa propre saveur, laquelle préfigure notre langue moderne.

Comment faire savoir à Yseut qu’il est près d’elle ?
Tristan grave sur une branche de coudrier Ni vous sans moi, ni moi sans vous ! La ruse fonctionne. Les deux amants s’enlacent. Mais de nouveau séparés, Tristan compose un lai. Il compte ainsi éterniser cet instant de bonheur.
Voilà l’origine du Chèvrefeuille de Marie de France. Et celle des lais : leur inspiration provient d’une émotion.
Plus qu’un art de dire, les récits nés des lais sont donc un art d’émouvoir et de suggérer. C’est ici à l’art subtil du dévoilement que Marie de France invite son lecteur, une manière de se montrer soi-même à travers ses textes.
Elle vécut dans la seconde moitié du XIIe siècle. Fut liée à Henri II et Aliénor d’Aquitaine. Mais surtout la première femme poète à écrire en langue vernaculaire. Son œuvre illustre à merveille un courant littéraire alors en plein essor…

Revêtant des formes diverses – féerique, didactique, burlesque, proches des fabliaux, voire des fables –, les lais ont en commun le sens de l’image, la musique de la rime, le don d’émouvoir.
Ici réside la clé du mystère poétique. Demeurera le secret final, inviolable, évanescent dans la grâce fragile d’une image, les arpèges d’une harpe, le tremblement des amants et le chant d’un oiseau…

Annabelle Hautecontre

Collectif, Lais du Moyen Âge – Récits de Marie de France et d'autres auteurs (XIIe-XIIIe siècle), traduction de différentes langues par Lucie Kaempfer, Ásdís R. Magnúsdóttir, Karin Ueltschi et Philippe Walter, édition bilingue publiée sous la direction de Philippe Walter, Gallimard, octobre 2018, coll. Bibliothèque de la Pléiade, n° 636, 1488 p. – 62,50 € jusqu’au 31 mars 2019 puis 69 €

 

Ce volume contient :

Marie de France : Prologue - Guigemar - Équitan - Le Frêne - Bisclavret - Lanval - Les deux Amants - Yonec - Laostic - Milon - Le Chaitivel - Le Chèvrefeuille - Éliduc. Lais anonymes ou dus à d’autres auteurs : Désiré - Tyolet - Guingamor - L'Épine - L'Épervier - Doon - Le Lécheur - Tydorel - Le Court Manteau - L'Ombre - Le Conseil (de Jean Renart) - Amour (de Girard) - Aristote - Graelent - L'Oiselet (d'Henri de Valenciennes) - Le Cor - Haveloc (de Robert Biket) - Ignauré - Mélion - Le Trot (de Renaut) - Le Vair Palefroi - Nabaret - Narcisse - Pyrame et Thisbé (de Huon Le Roi). Lai traduit du moyen anglais : Sire Orféo. Lais traduits du norrois : Goron - La Grève - Richard le Vieux.

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