Philippe Sollers n'est pas un menteur - ou la révision des poncifs

Philippe Sollers n'est pas un menteur. Lorsqu'il nomme son roman Le Nouveau il ne nous trompe pas. Enfin presque même s'il nous fait partager ce qu'on pouvait estimer impensable. Choisissant désormais le fiction courte comme si avec l'âge il fallait qu'il concentre au plus près son génie littéraire, il réussit un exploit. Il le prépare. Pour preuve sa quatrième de couverture :

Ce livre est un roman.
Nous sommes dans le sud-ouest de la France, vers Bordeaux et ses grands environs, d’où l’ensemble de l’Histoire, peu à peu, se dévoile.
Personnages principaux :
Henri (1850-1930), le navigateur.
Edna (1854-1936), l’Irlandaise.
Louis (1870-1956), l’escrimeur.
Lena (1922-2007), la magicienne.
Invité permanent : William Shakespeare (1564-1616).

Tout est dit même si rien n'est dit. Et s'il existe certaines omissions. Dans cet embarquement pour six terres avec William à la barre, le monde se traverse de l'île de Ré à Pékin avec passage obligé à Venise. Et bien sûr avec les références littéraires chers à l'auteur : à côté de Shakespeare : Freud, Céline, Thelonious Monk, Ella Fitzgerald, Mozart (forcément).
Mais pas question avec Capitaine William et Sollers en barreur de naviguer chronologiquement d'un point à l'autre. Le romancier vrai  tire des bords, va à sauts et gambades. C'est continuellement jouissif. L'auteur se laisse aller mais place toujours bien la balle. Il évite les récifs, s'amuse sur ce bateau où soudain l'auteur revoit l'ancien commandant de bord : son arrière grand-père et ses amours illicites qui donnèrent à son frêle esquif le nom de "Le nouveau".

Mais bien sûr exit la nostalgie - ou du moins elle n'est plus ce qu'elle était avant Sollers. L'auteur ignore la mélancolie, il s'amuse au milieu des embruns et des amours embrumées avant le retour au port. Mais l'auteur ne s'arrête pas en si bon chemin. Il joue avec le lecteur. Le roman prend de la hauteur et sert à tout. Sollers ne s'en prive pas. Finaud il justifie ce qu'on lui reprocha : son admiration pour Mao. Il est vrai que le temps des gilets jaunes s'y prête : "Un révolutionnaire conséquent du XXe siècle, hautement criminel, avec une personnalité très étrange, a mené, contre l'argent, une guerre radicale." écrit celui qui pourrait se retrouver très vite sur un rond-point.
Certes l'auteur met les bémols qui s'imposent et d'une certaine manière renvoie Mao à ses études : " Il n'a certainement jamais lu aucune pièce de Shakespeare, mais on l'a pourtant surnommé « Le Grand Timonier ». Et voici notre plaisantin reprenant la barre, le flambeau. Il redonne, sans chinoiser, au Grand Timonier ses lettres de noblesse en citant son slogan : « Le chemin est tortueux, mais l'avenir est radieux. »

Bref, Sollers se refait une virginité en soulignant l'écaert qu'il existe entre l'apotre de la Révolution Culturel et ses confrère en cruauté : Staline, Hitler, Mussolini, Franco. Le pire : il nous convainc (presque) tant son lyrisme nous emporte." On censurera le plus possible certains de ses livres, et surtout sa revue décalée, Le Nouveau. Pas un mot dans la New French Review bien sûr." anticipe-t-il pour le présenter.
Le gai larron qui n'est en rien un adolescent d'autrefois mais d'aujourd'hui. On lui pardonne tout au nom de la littérature. Ce sera trop pour certains. Trop peu pour d'autres. Mais il n'existe chez lui aucuns remugles douteux (Sollers n'est en rien Makine. Il est vrai que le premier est écrivain, l'autre académicien).

D'autant que Shakespeare reste là en "vitamine de choc". Il fait passer toutes les autres pilules. D'autant qu'avec le dérèglement climatique et le super concentration du capitalisme féodal mondialisé Sollers pourrait nous faire croire que Mao fut un moindre mal. Et c'est tout juste si nous ne nous excuserions pas d'avoir traité le responsable d'un numéro spécial de Tel Quel (sur la Chine du Timonier) de "déglingo".
Et le voici romancier et surtout Rimbaud âgé et voyant face à ceux qui considérent " la vieille tortue Mao comme un vestige du cirque d'antan.". C'est osé (euphémisme) et pourtant ça passe. Si bien qu'à la barre du "Nouveau" l'auteur nous donne une belle leçon de conduite en rassemblant l'eau et l'huile. Mieux même : le vin de Bordeaux, l'alcool de riz et le whisky. Pas besoin de glaçons. On boit un tel cocktail à la santé de Sollers afin qu'il nous surprenne encore longtemps.

Jean-Paul Gavard-Perret

Philippe Sollers, Le Nouveau, coll. "Blanche", Gallimard, mars 2019, 144 p.-, 14 €

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