Jean-Claude Pirotte, réfugié en poésie
A Saint-Léger, quelque part en Champagne pouilleuse, Pirotte avait posé ses valises, provisoirement : définitivement perclus / me voici donc ici reclus / à Saint-Léger clos des Garennes / attendant que la mort me prenne. Depuis quelques années, il remplissait des carnets de poèmes jaillis par milliers, comme dictés par l’urgence de vivre, les livrant à ses familiers, lecteurs fervents qui le suivaient “à la trace”. Dans ce petit recueil de pensées familières versifiées, il parle franchement : je ne vivrai plus longtemps / j’aimerais passer le temps / qui me reste à revenir / sur mes projets d’avenir. Le ton serait plutôt sombre, si une délicate mise à distance du poète avec cet autre qui vieillit ne recouvrait ces vers : je suis un adulte immature / qui de sa vie attend la fin. Pirotte enregistre les menus faits, les moments ordinaires, guette les signes. Il fait le bilan d’une existence qui fut celle d’un éternel adolescent rêveur, son double, qui fit le choix de ne pas vivre dans le monde qu’on sait, où se prendre au sérieux tient souvent lieu de qualité : depuis que je suis tout petit / j’ai voulu devenir grand / maintenant que je suis grand / je redeviens tout petit. Il est question aussi du passage de certaines ombres, de voix perdues, du retour des éternelles questions sans réponses devant la vie et le reste...
Je vous livre un poème in extenso, avant que de me taire, relire Jean-Claude, mon ami, parti vers d’autres garennes...
un poème d’après-midi
dans une atmosphère immobile
on dirait presqu’un paradis
si le temps n’était pas mobile
et ne traversait le jardin
comme le merle à cet instant
dans une lumière d’étain
si le temps n’était pas le temps
et ne laissait l’après-midi
à la merci des contredits
si le jour n’était pas à jour
et pouvait faire demi-tour
si les busards et les autours
n’annonçaient pas la fin du jour
Frédéric Chef
© photo : Louis Monier
Jean-Claude Pirotte, A Saint-Léger suis réfugié, L’Arrière-Pays, juin 2014, 72 pages, 11 €
Critique également disponible sur le site Les imaginaires du vin.
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