Précis d’incertitude d’Alain Dantinne : Le murmure de nos absences

La vie est un voyage ordinaire et sans retour. Les poètes sont peut-être ceux qui essaient de redéfinir les contours de l’être en attendant la date de péremption du rêve. Dans son dernier livre, Alain Dantinne se veut aussi précis qu’incertain. Il est l’auteur d’un savoureux Petit catéchisme à l’usage des désenchantés (Finitude, 2009). A ce titre, il a le sens de la formule et celui de l’humour. Il tient cela d’Achille Chavée – entre autres – auquel il rend hommage : Achille / attisa une blessure / plus éclatante que le remords / triomphante morsure / crevasse exaltée / mots brûlants et noirs.

 

Pour entamer son recueil de poèmes – et non d’aphorismes –, le poète originaire de Namur approche lentement le phénomène poétique, tentant d’en définir le sens, à défaut le mécanisme. Une fêlure originelle, une absence : au creux de l’absence / la poésie. Alain Dantinne questionne la métaphore qui, selon lui, murmure nos absences. Mais il faut, pour partir à la quête de soi sur les chemins abrupts de la poésie, n’user de la métaphore / qu’avec réserve. Trouver le mot juste, rédiger des vers dégraissés jusqu’à l’os : enlever / aux immuables oraisons / la chemise de mots. Le poète doit se frotter les peaux / contre la pierre / à vif. Se fritter avec cette fameuse réalité parfois rugueuse. Tout fait sens pour le poète et pour l’homme qui doit se réconcilier avec lui-même, entrevoir cette instable / nudité de l’être / ascèse de la poésie. L’homme et le monde ne font qu’un, il s’agit de les réunir passagèrement dans un regard apaisé qui élargit l’espace.

 

Poète introspectif – auteur de L’exil intérieur (L’arbre à paroles, 2005) – il n’en est pas moins attentif aux épiphanies de la grandeur du monde. Le chant d’un oiseau lui intime l’ordre de prendre la tangente. Alain Dantinne aime marcher, au sens propre, sur les hauts plateaux. Il suit la piste des Andes – désert chilien d’Atacama – pour retrouver la sensation d’exister et contempler ce monde en lisière. Le train du nord / rebondit de nuages en nuages et conduit vers les Iles Lofoten, Hammerfeest et la toundra, qui devient sous sa plume un poème estompé / par les vents. Tout est poésie. Dantinne voit des natures mortes dans ces morues qui pendent / à même la rue / pour l’éternité. Il se souvient qu’il faut tenter de vivre. Au lac Inari (au nord de la Finlande), il dédie ses petites strophes ciselées – autant de haïkus lapons. La force tellurique du monde – Le dehors guérit, écrivait Stevenson – recolle les morceaux de l’être. Au pied d’une tombe, il reprend goût à la vie, déposant le sac de fatigue et dans un demi-sourire consigne :

diaspora de la fin

vous n’êtes pas ici pour rien

vous ressuscite un pérégrin

 

Le poète, c’est ce pérégrin qui marche vers lui-même et dont les pas renouvellent le sens du monde. Il désire Prendre le chemin / abrupt de l’exil / ce dedans lointain. Pour achever son périple de mots après avoir puisé dans l’orbe magique de l’univers, Alain Dantinne questionne la peinture d’Edvard Munch, ses cris, ses brisures de l’âme. Un va-et-vient entre l’univers réel du peintre (originaire d’Oslo) et sa mélancolie colorée : le cri / rebondit / de toile en toile. Puis, tel le volcan apaisé, l’hirondelle partie vers d’autres cieux, le poète est de retour parmi les siens. Le tumulte invisible se poursuit dans quelques hommages aux morts, quelques amours défuntes et  le chant de Bob Dylan. La vie est une épopée solitaire menée par chacun, nomade paradoxal. Alain Dantinne, au bout du compte, s’interroge sur le sens de sa vie, nous embarquant dans son voyage au-dedans et au dehors. La peinture d’Alain Dulac, quant à elle, délayée du ciel, calligraphique, rythme parfaitement ce parcours sous les nuages. Par ces derniers vers, le poète nous tend la main, réveillant notre désir d’être :

 

dérivant au fil des jours

dans le rugissement des mers

abandonné sur la rive

du fleuve Amour

 

exclue des farandoles de plaisir

marche dans un désert

l’ombre affolée de désir

 

 

Frédéric Chef

 

Alain Dantinne, Précis d’incertitude, peintures d’Alain Dulac, L’herbe qui tremble, mai 2016, 144 pages, 17 €

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