Extraction de la peur de Véronique Daine : Être là, simplement

La peur est au-dehors et s’insinue en nous par les pores de notre existence. Il nous faut partout la maîtriser, l’extraire. Il y va de notre sérénité. Véronique Daine, dans un recueil de proses poétiques sans ponctuation ni majuscules, explore les résidus de l’inconscient, les affleurements du moi confrontés au monde. j’ai le désir espoir qu’un long poème une longue habitation d’absence ait aussi le désir de moi. Voilà pour le projet : être désiré par le poème comme on laisserait venir à soi les affects, les chocs, les stimuli, les rencontres. Le monde est un sujet de terreur permanent qu’il s’agit de dompter pour le meilleur : reprendre conscience serait revenir à la prédation. La syntaxe même du texte poétique doit s’affranchir des limites, éviter le petit étroit étriqué aux phrases rances.

 

Tout d’abord, atténuer le self-control pour trouver l’inconnu en soi, ce mouvement, cette intimité dont on ignore tout. Etre tapi devant les palpitations du monde et les réactions qu’il entraîne en nous, qu’il s’agisse de l’amour ou de la haine, témoins les sanglants faits divers dont nous sommes les muets spectateurs et les acteurs délégués. Rita Henkinet, condamnée en 2016 pour homicide avec préméditation pour avoir tué ses enfants handicapés, bouleverse Véronique Daine et lui inspire un  questionnement sur les manifestations inquiétantes de l’identité et du langage. La patience, la confiance sont primordiales. Enfin, l’attente est la seule qui existe vraiment. Véronique Daine procède donc à des inventaires méthodiques du temps qui passe. Elle devient la chambre d’écho du monde, ses poèmes des agglomérés de chocs et de souvenirs avec parfois des références culturelles : celui de Charleville, Yannis Ritsos, Mahmoud Darwich, Lambert Schlechter, Jean Sébastien Bach ou encore la photographe Vanessa Winship, qui saisit frontalement ses modèles, les livrant sans les apprêts de la joliesse. Ensuite, le poète laisse couler en lui – ou en elle – le flux des phrases dans le déroulant des phrases du monde.

 

De ce maelstrom sanguin, avec ses allers et retour de la veine porte au cœur, avec ses ostinatos, ses mots, ses obsessions de pages en pages comme un fil conducteur ténu, jaillit une sorte de pâte poétique, un flux ininterrompu. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas de poésie automatique, mais d’un mélange entre les phrases du monde et les miennes pour y disparaître ne pas s’arrêter comme si l’on craignait l’interruption la séparation des phrases parce que dans cette séparation des phrases coulerait une eau froide.

 

Ce recueil, parfaitement illustré par les encres délayées d’Alain Dulac, est un bouleversant reflet du monde, dans une forme harmonieuse avec l’exigeante ambition d’exister pleinement, loin de la peur et de ses récitatifs.  je ne cherche pas à dire mais simplement à être là, a écrit le poète Jacques Ancet. Véronique Daine est là, fixant grâce à la poésie l’instant suspendu ou de la conscience qui passe.  

 

 

Frédéric Chef

 

Véronique Daine, Extraction de la peur, peintures d’Alain Dulac, L’herbe qui tremble, mai 2016, 80 pages, 14 €


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