La belle endormie, de Jean Berteault : Le charme discret de la poésie

Qui donc prétendait que la poésie était morte ? La poésie, la vraie, s'entend. Celle qui s'impose, mais pour mieux s'en évader, le corset des règles. Pas le tout, le rien et le n'importe quoi. L'approximatif, le flou et le fuligineux où se complaisent, s'autorisant, sous prétexte de liberté, le laxisme le plus échevelé, de soi-disant poètes. Bref, la poésie qui, sans renier les contraintes formelles qui lui sont une colonne vertébrale, persiste à rester aimable. A procurer au lecteur (à l'auditeur ?) le plaisir des rythmes et des mots.

 

Celui qui proclamerait sa disparition prouverait seulement son ignorance. Et d'abord celle de l'oeuvre que Jean Berteault édifie, recueil après recueil, avec l'opiniâtreté d'un artisan et la constance de celui qui connaît les tréfonds de la nature humaine. Le patient ciselage auquel cet amoureux de la langue - cet amoureux tout court, si j'ose écrire, sa Muse en témoigne - se livre pour notre délectation.

 

La belle endormie est le dernier en date de ces recueils où les poèmes à forme fixe, sonnets le plus souvent, les mètres classiques, alexandrins, octosyllabes, les synérèses hardies, les césures frondeuses, les rimes audacieuses (ah ! faire se rencontrer "l'Hepburn" avec "auburn" !), les enjambements inattendus rivalisent dans l'expression de sentiments éternels. L'amour, bien sûr, ses premiers émois, et le désir, et les regrets, et la douleur des ruptures. Tout ce dont les lyriques ont fait leur miel depuis la nuit des temps et qui permet d'inscrire Jean Berteault dans la longue lignée des chevaucheurs de Pégase.

 

Dans son excellente préface, Philippe d'Hugues se livre à une tentative de typologie avant de le situer parmi "ces poètes qui, il y a un siècle, à l'écart d'Apollinaire ont voulu faire de la poésie un plaisir, un jeu, un divertissement..." Il n'a certes pas tort. Encore moins lorsqu'il croit déceler, sous les apparences, une forme de gravité. J'y ajouterais un autre ingrédient indispensable, l'humour, dont on sait depuis Boris Vian qu'il est "la politesse du désespoir". Entendons-nous : Berteault n'a rien d'un désespéré. Il a seulement un sens aigu de la pirouette, celle qui désamorce toute tentation de céder au pathos ou aux vertiges vénéneux de la tragédie - c'est le "je ris en pleurs" de François Villon, celui de la Ballade du concours de Blois. La fantaisie d'un Toulet. Celle, plus mélancolique, d'un Jules Laforgue.

 

Plusieurs pièces de ce recueil font irrésistiblement penser à un poète authentique que l'on ne sut pas toujours reconnaître sous ses oripeaux de chansonnier, Georges Brassens. L'auteur de La belle endormie partage avec celui des Sabots d'Hélène le goût des vocables surannés. Sa Ronde des prénoms évoque celle des jurons.

 

Il y a aussi, chez lui, une forme de gaillardise qui s'épanouit dans le savoureux Réveil du mort et que n'eût pas reniée l'auteur de La Fessée. Plus allusive mais tout aussi présente dans La première caresse. Certains de ses poèmes, comme Soir de noce, rue de la Briqueterie ou Cinématon, exigent quelques clés pour être entièrement élucidés. Mais est-ce bien nécessaire ? Tels quels, ils se suffisent, et point n'est besoin, pour les goûter, d'appartenir aux happy few.  

 

On l'aura compris : rien de plus rafraîchissant que ce recueil. C'est un pied de nez aux cuistres. Il est à la fois tendre et malicieux. Il se lit d'une traite et procure un vrai plaisir. Grâces en soient rendues à Jean Berteault qui ose, en nos temps prosaïques, se proclamer poète. Et le prouver avec un tel brio.

 

Jacques Aboucaya

 

Jean Berteault, La belle endormie, Editions Lanore, septembre 2013, 104 pages, 10 €

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