Anne-Lise Blanchard, le Haïku, le regard

Le Haiku  Jacques Roubaud, et Anne-Lise Blanchard le prouve  Jacques Roubaud, est écrit pour savoir ce que fait la langue. À savoir comprendre les conséquences de son "incongruité" sur son rapport aux choses et aux êtres comme à celui de la propre transgression de l'auteur par rapport au réel : Samedi / ouvrir les yeux sur rien / de la journée ou Passages ruelle / nous marchons serrés tout contre / un rat s'esquive.

La question de la poésie est à chercher chez Anne-Lise Blanchard dans sa  fabrique des questions annexes : ses sujets, thèmes et narrations. Sans ces questions, elle ne se serait pas. Mais ces éléments sont tout autant de façons d’éluder celle de fond dont le haïku est l’inéluctable produit : la question même de son origine.

Pour qui se veut poète - et l'auteure le prouve - l’enjeu est de cerner quelque chose de juste du rapport du sujet  à sa   propre expérience du monde. Mais le monde n’est pas une sorte d’en deçà ou d’au delà du langage : il est toujours déjà fait de lui, constitué comme monde par le réseau du  symbolique en elle.

Le ravissement de la marche reste à ce titre un monde  clos mais ouvert. La créatrice y refuse une naïve régression fusionnelle ou les exaltations d’une sublimation nourrie de pathos. D’où le combat pour se dégager de ce qui, du corps constitué de la langue, vient faire écran à une langage de l’expérience intime pour en récuser l’inouï et l’assigner au lieu "commun".

La question qu’affronte Anne-Lise Blanchard est moins celle de l’irrémédiable écart entre les choses et le langage  que celle du fossé qui s’ouvre entre la coagulation de représentations du réel et la façon par lequel celui-ci affecte la vie du poète. Cela ne se résorbe pas dans une imagerie sertie de figures repérées.  Tout ne prend sens qu'en venant à elle comme obscurité, confusion insensée, flux d’affects.


Jean-Paul Gavard-Perret

Anne-Lise Blanchard, Le ravissement de la marche, L'Atelier du grand tétras, juillet 2021, 96 p.-, 16 €

 

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