"Intrusion", Amours défuntes et faux semblants
Mise en abyme littéraire
Tamaki, jeune romancière réputée, travaille sur son prochain roman au sujet plutôt particulier. Il a pour objet d’identifier O., héroïne d’un célèbre roman japonais sur une liaison adultérine, écrit par le célèbre Mikio Midorikawa. Tamaki enquête, rencontre des témoins, recherche des femmes ayant connu Midorikawa afin d’identifier celle qui l’a inspiré pour créer O. Travailler sur ce roman perturbe Tamaki, qui ne se remet pas de sa rupture avec Seiji, avec qui elle a vécu une histoire tumultueuse et passionnée. Elle a récemment repris contact avec lui et n’a pu que constater la mort de leur histoire. Seiji et O : l’enquête devient quête de soi et mène Tamaki au bord de la folie, entre fantasme et réalité. Intrusion est un roman assez riche, qui brasse plusieurs thèmes, dont une mise en abyme littéraire - le roman dans le roman - et une réflexion sur la création littéraire - comment Mikio Midorikawa s’est-il servi d’éléments biographiques pour écrire Innocent ? -, par exemple. Ceci procède d’un jeu littéraire plutôt bien amené.
Ceci n’est pas un polar
Cependant,
soyons clairs : intégrer ce roman dans une collection consacrée aux polars
est assez « capillo-tracté ». Intrusion
relève de la littérature blanche et l’enquête n’est qu’un prétexte à une
quête très personnelle. Ici il n’y a pas de meurtre ou de violence, exceptée
celle des sentiments. De plus, Intrusion
possède une dimension onirique dont la place n’est pas si évidente que cela à
intégrer dans l’univers du polar ou du roman noir. Cette réflexion sur
l’étiquetage ne relève pas du jugement de valeur : Intrusion est un roman intéressant, même s’il y a des longueurs. Il
est vrai que Natsuo Kirino est connue pour des romans policiers au Japon et
au-delà, ce qui a dû pousser l’éditeur à la publier dans cette collection afin
de capitaliser sur sa réputation. On entre véritablement dans la psyché de
Tamaki et à ce titre l’étude du personnage retient l’attention. Le récit de son
histoire d’amour n’est par contre pas particulièrement original car la passion,
le lecteur lambda commence à connaître : il en est même blasé parfois. Ce
qui surprend finalement, en dehors de l’avertissement du traducteur sur les
titres des chapitres - ceux-ci commencent systématiquement par un mot en
« in » à cause des
idéogrammes du texte original (et qui font référence au titre du livre en
japonais In, en réponse au précédent
roman de l’auteur, Out), ce qui
d’ailleurs montre bien le caractère introspectif du livre -, c’est le peu de références
à la culture japonaise. L’histoire racontée ici aurait pu se dérouler à Londres
ou à Moscou.
Au final un roman complexe, qui interpelle le lecteur qui s’intéresse aux exercices littéraires et aux histoires d’amour qui tournent mal.
Sylvain Bonnet
Natsuo Kirino, Intrusion, traduit du japonais par Claude Martin, Points Seuil 288 pages, septembre 2012, 7 €
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