Un homme à la dérive dans une société terrifiante : « Poussière tu seras » de Sam Millar

Sam Millar est un auteur irlandais que les lecteurs français commencent à bien connaître, après Rédemption, paru en 2010, et On the Brinks, en mars 2013, le roman comme l’autobiographie étant absolument noirs et désespérés. Poussière tu seras, sorti en France en 2009, ressort en format de poche dans la collection « Points - Policier » : il s’agissait déjà d’un roman, et déjà, la noirceur était au rendez-vous, avec l’amorce des thèmes qui caractérisent son œuvre, mais sans allusions politiques directes.


L’action se situe aux environs de Belfast, dans un endroit entre ville et campagne, assailli par la neige et autres tourments hivernaux. Adrian Calvert et Jack, son ex-flic de père, cohabitent tous deux tant bien que mal, le second noyant trop fréquemment dans l’alcool ses remords et son sentiment de culpabilité, au grand dam du premier qui ne se remet toujours pas du décès de sa mère, causé par un chauffard ivre. Or un jour, le jeune homme disparaît et son père part à sa recherche. Sa quête, dont l’issue à la fin du livre n’est toujours pas certaine, fera remonter à la surface les ignomonies, mensonges et atrocités du passé de la petite ville comme des personnages.


L’histoire est narrée sous forme de chapitres brefs qui nous placent alternativement dans le point de vue des différents personnages, coupables y compris, ce qui contribue efficacement à installer un climat glauque et angoissant. Le lecteur se retrouve ainsi plongé dans un univers dont les perspectives sont tordues. Cela vaut bien entendu pour les esprits maléfiques – pourtant d’une certaine façon apeurés et meurtris –, mais également pour les autres, car Jack et Adrian ne sont pas aussi étrangers au mal que leur statut de victime pourrait le laisser croire.


Au-delà d’une certaine complaisance pour le pervers et le malsain, il y a en effet dans le livre de Millar une vision particulièrement pessimiste et effrayante du mal, prenant chez lui la forme d’une maladie à la fois contagieuse et incurable. Nous ne dévoilerons pas, bien entendu, les secrets que dévoile la fin de l’intrigue et qui viennent donner à ce propos une illustration aussi saisissante que nauséabonde, mais le cas des deux protagonistes est également intéressant à cet égard. Si les manquements (lâchetés, tromperies…) du père sont finalement assez classiques et pèsent inévitablement sur le fils, ceux de ce dernier – ou, en tout cas, son appétit pour le mal et la facilité avec laquelle il lui cède – ne sont au final pas négligeables. On s’écarte (enfin !) d’une idéalisation béate de l’adolescent, très souvent représenté comme plus clairvoyant que l’adulte et apte à en démasquer les hypocrisies et les faux-semblants.


Autre originalité du livre : les coups assénés au « flic ». Entendons-nous bien. Il n’est pas rare, dans les enquêtes policières, que l’enquêteur se prenne des coups. Parfois même l’un de ses proches se trouve directement affecté par son enquête. Quant aux traumas qui hantent les flics de romans policiers, ils remontent en général à un passé lointain, étranger à l’enquête narrée. Dans Poussière tu seras, passé et présent de Jack se mêlent de façon indissoluble, les erreurs et les crimes du premier faisant de son présent un enfer et le privant de l’invulnérabilité qu’implique normalement son statut d’enquêteur. Quant le livre se referme, le sort de Jack est finalement assez incertain, si bien qu’au fond, Poussière tu seras est moins un roman policier que le portrait d’un homme à la dérive, dans une société terrifiante. Un portrait sombre et tourmenté, comme Bacon pouvait en peindre.


André Donte

 

Sam Millar, Poussière tu seras, traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal, Points - Policier, mars 2013, 250 pages, 6,60 euros    

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L'auteur était présent à Paris POLAR le weekend dernier. Effectivement, il convient de suivre ses bouquins, le bonhomme s'améliore à chaque fois selon les lecteurs.