L’une et l’autre, de François Cérésa : Les aventuriers de l’amour perdu

François Cérésa est passé maître dans l’art de susciter la surprise. Pour s’en tenir au champ littéraire, guère de domaine qu’il n’ait exploré. Avec bonheur, le plus souvent. Si bien que chacun de ses romans nouveaux – et non de ses nouveaux romans, nuance ! – ne ressemble aux précédents.

S’il fallait lui assigner une hypostase, ce serait sans nul doute Kali, la déesse hindoue aux huit bras : à son image, il multiplie les travaux, écrivant d’une main, dirigeant d’une autre (celle qui est gantée de fer !) le mensuel Service Littéraire, qu’il a créé il y a une bonne dizaine d’années, tandis que, d’une troisième, il manie en expert la fourchette dans un restaurant étoilé. Et il n’a pas trop de celles qui restent pour chauffer dans le creux de leurs paumes les verres de Bourgogne qu’il s’apprête à déguster avant d’en évoquer les vertus, dans une langue aussi savoureuse que les mets qu’il consomme. Elle eût ravi son ami Alphonse Boudard.

De ces quelques activités croisées est déjà née une œuvre copieuse. Goûteuse, aussi, et bigarrée. Non point composite, car chaque écrit y trouve sa juste place, comme une pièce de puzzle, biscornue en apparence, contribue à l’harmonie de l’ensemble. Le liant, c’est, assurément, un talent de Fregoli. Capable de passer du roman historique à l’autofiction, du détournement d’œuvres célèbres et de la parodie à la célébration de ses parents, du comique à l’attendrissement. D’allier le roman psychologique, dans la tradition française, au roman behavioriste américain à la Hemingway.

Kali, disais-je. Multiple, inattendue. Celle que célèbre, sur le mode burlesque, le film Help ! (1965) de Richard Lester, avec les Beatles en première ligne. Ou encore, en 1984, Indiana Jones et le Temple maudit, de Steven Spielberg. Des références que Cérésa ne récuserait pas. Le cinéma, il le connaît. Mieux, il en est imprégné. Au point que sa culture en ce domaine en devient impressionnante. En témoigne L’une et l’autre. Un roman inclassable où le septième art joue un rôle prépondérant. Avec, aussi, la littérature. La connaissance de pays étrangers. Sans compter, accessoirement, la gastronomie caractéristique des régions traversées. Autrement dit, toute la lyre d’un écrivain à la culture aussi vaste que protéiforme.

Qu’on n’aille pas imaginer un ouvrage sérieux ou didactique. Un de ces livres documentaires à l’érudition pesante. Tel n’est pas son genre. A l’inverse, rien de plus léger, de plus hilarant, parfois, que ce roman allègre, aérien, qui joue sur tous les registres sans se départir d’une fantaisie constante.

Le pitch (on me souffle que le mot « argument » n’est plus compris des jeunes générations), le pitch, donc, en est simple. Marc Mourier, héros et narrateur, la soixantaine fringante, est l’époux de Mélinda, à peu près du même âge. Leur couple a du plomb dans l’aile. Lui se réfugie dans le souvenir d’une époque où le désir et le plaisir étaient rois. Elle devient maussade et acariâtre. Rien de plus banal.

Mais, un soir de Saint-Sylvestre, le miracle se produit : Mélinda apparaît à Marc telle qu’elle était à trente ans. Belle, rayonnante. Désirable. Tout le portrait de Jane Fonda dans Les Félins, de René Clément, en 1964 ! Métamorphose, hélas, de courte durée. Récurrente, toutefois, puisque l’une, la vieille, alterne périodiquement avec l’autre, la jeune. Pour que la mue devienne permanente, sans doute faut-il rompre la routine. Justement, Marc est chargé d’écrire le scénario d’une série documentaire sur les rapports entre la littérature, le cinéma et les lieux qui ont inspiré écrivains et artistes.

Voilà donc le couple lancé à travers l’Europe sur les traces des uns et des autres. Modiano à Annecy, Malaparte à Capri, Zweig à Vienne, Proust à Cabourg. Sans compter, entre autres, les grandes figures du western-spaghetti dans les décors naturels d’Andalousie. Ou encore, en Belgique, le situationniste Raoul Vaneigem et Jacques Brel. Autant d’évocations, de rencontres, de rappels de films et d’œuvres littéraires. Autant d’épisodes émaillés de descriptions de paysages, de gastronomie in situ, de scènes érotiques – car, en définitive, le dépaysement pourrait bien être le secret de l’amour éternel…

Tout cela, mené tambour battant. Le style de François Cérésa, on le sait depuis longtemps, se caractérise par le rythme et la fluidité. Ses dialogues, par le naturel. Son art du récit accorde une large place à l’humour. Mais il fait ici, en outre, et sans avoir l’air d’y toucher, montre d’érudition et de pertinence dans des domaines qui incluent, outre le septième art et la littérature, aussi bien la BD que la musique ou les arts plastiques. De quoi laisser pantois. Et admiratif.

On aurait, dès lors, mauvaise grâce à chercher la petite bête. A le chipoter sur son goût immodéré pour le chiasme et la formule qui claque (« Mélinda joue les détachées avec bonheur et le bonheur avec détachement »). A pointer sa rapidité d’écriture qui lui fait ici mélanger un tantinet vertus cardinales et théologales, là prendre la denture pour la dentition. Vétilles. Que celui qui n’a jamais péché… Au demeurant, l’écrivain pourrait à bon droit arguer qu’il n’est ni dentiste, ni théologien. Ce dont on lui donne acte bien volontiers. On retient, en revanche, sans la moindre restriction, la virtuosité d’un romancier qui, une fois encore, parvient à faire œuvre originale et captive son lecteur de bout en bout. Ce qui, il faut le reconnaître, est, par les temps qui courent, plutôt rare.

Jacques Aboucaya

François Cérésa, L’une et l’autre, Le Rocher, février 2018, 220 p., 18 €

> Lire un extrait de L'une et l'autre de François Cérésa

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