Il aura donc eu un fils notre regretté MGD, qui s’amuse d’ailleurs d’un clin d’œil à saluer le pair (une scène à Annecy, épicentre du phénoménal Racines du mal) et à nous entraîner dans une drôle de sarabande ; un tourbillon qui surprend aux premières pages lues, tant par la virtuosité du style, l’enchâssement des histoires que la violence et la cruauté de certaines scènes. Mais le tragique a toujours été notre compagnon de route, n’en déplaise aux bisounours qui s’émeuvent d’un ongle cassé ou d’un compliment trop bien troussé qui pourrait cacher une tentative de harcèlement. Ici les choses sont réelles, les actes primaires, les désirs assouvis… quoiqu'il en coûte.
Traversant les siècles, les poupées russes de Jérémy Fel se combattent dans des mondes parallèles qui tentent de s’interpénétrer au sacrifice de certains médiums qui veillent sur nos destins au péril de leur vie. D’un maître de secte à une sorcière de l’ancien temps, les lieux se rejoignent derrière les soubresauts de la nature, et la faim tenaille les volontés au point que certains succombent dans le délice de la satisfaction.
Chasseurs ou chassés, le monde serait bipolaire selon Jérémy Fel mais n’est-ce pas ce que nous vivons chaque jour, d’une manière l’autre, dans l’entreprise, dans les relations amoureuses, dans les défis sportifs, etc. 
Précis, piquant ici, caressant là, Fel déploie des trésors d'imagination pour nous rendre crédible la folie des hommes et les caprices des démons. À la fois polar terrifiant, étude sociale et chronique historique, la palette artistique ici déployée avec virtuosité nous offre une lecture particulière et envoûtante, glaçante mais irrésistiblement captivante ; à croire qu’une once de perversité coulerait dans nos veines pour nourrir cette peur-plaisir à dévorer ses pages comme d’autres leurs victimes expiatoires… La littérature est riche, voilà une nouvelle preuve à déposer sur l’autel des meilleurs livres de la rentrée.
 

Rodolphe
Jérémy Fel, Nous sommes les chasseurs, Rivages, octobre 2021, 716 p.-, 23 €