Interview. En liaison avec le Marché de la Poésie : Catherine Tourné, directrice des éditions LansKine.

Vous avez, Catherine Tourné, fondé les éditions LansKine il y a maintenant près de 9 ans. Tout d’abord, qui était Boris Lanskine ?

Le nom des éditions LansKine provient de Boris Lanskine, libraire parisien dans les années 80, qui accueillait les lecteurs avec attention. Il leur conseillait, après les avoir écoutés, des livres auxquels ils n'auraient pas pensé.

Aujourd’hui, en 2017, est-il encore possible de publier de la poésie (principalement, je crois) sans perdre énormément d’argent ?

La poésie est bien loin de la merchandisation du livre, donc on ne gagne pas d'argent, je ne peux pas me payer un salaire bien sûr, mais entre salons, marchés, aides du Centre National du livre et organisation de lectures, je ne perds pas d'argent. Chaque centime gagné sert à publier le prochain livre, donc on peut arriver, avec beaucoup d'efforts et de constance à équilibrer les comptes.

Recevez-vous une aide substantielle des diverses institutions de Nantes ou des Pays de Loire ?

Non, pas du tout, car je ne suis pas une pro des dossiers de subvention. Néanmoins, je participe au collectif des éditeurs des Pays de la Loire, le Coll'libris, qui regroupe les éditeurs de la région, éditeurs jeunesse, roman, voyage... Et leur fréquentation m'a permis de me professionnaliser, d'évoluer dans mon travail, d'être plus réaliste. De plus, nous faisons de nombreux salons ensemble (salon de Paris, Montaigu, Bruxelles, Le Pouliguen...) grâce au soutien de la DRAC et de la Région des Pays de la Loire, le collectif existe d'ailleurs grâce à leur soutien indéfectible.

Vous avez récemment édité des auteurs aussi différents que Paul de Brancion, avec Concessions chinoises, ou Rim Battal, pour Latex. Avez-vous des critères de choix particuliers, précis, ou bien fonctionnez-vous au coup de cœur ?

Auteurs différents, qui représentent des courants divers de la poésie. Rim Battal, jeune femme marocaine écrivant en français propose des textes dans une langue vivante et politique. Elle exprime avec force jusqu'à la provocation, la féminité. Pour Concessions chinoises de Paul de Brancion, comme l'écrit Xavier Bordes, dans Traversées : " ces poèmes m'ont fait l'effet d'une peinture rafraîchissante, intuitive, qui résume en des traits vifs et concis, la société chinoise moderne. Ce qu’en tant qu'éditeur je recherche, c'est une exigence de la langue ; j'aime tout autant le souffle, le flux de certains auteurs, que la maîtrise, la concision, la précision d'autres comme Sereine Berlottier dans son livre : Au Bord.  La poésie propose une expérimentation de la langue, mais pour moi, elle doit aussi porter une nécessité et s'adresser à l'autre.

Vous parlez de "porter une nécessité" - ce que je partage tout à fait. Mais ne pourrions-nous pas envisager une poésie qui existerait sans la moindre nécessité (sans retourner jusqu’aux Grands Rhétoriqueurs, je pense à des poèmes ludiques comme ceux de Prévert ou aux étranges assemblages de Celan ou de Mandelstam – même si pour ces derniers on peut penser que la nécessité est dissimulée) ?

Nécessité pourrait aussi se dire " s'adresser à ". Prévert joue mais ses poèmes sont souvent politiques autant que poétiques, politiques par un regard qui dérange, qui fait bouger les choses, un peu iconoclaste. Celan, dans ses poésies les plus brèves et énigmatiques fait très souvent référence à une tradition juive et relire sa poésie en ayant cette grille de compréhension est passionnant et éclaire beaucoup son texte. On ne peut écarter qu'il écrit après la Shoah dont il donnera dans " Fugue de mort " la plus terrible expression. Enfin, j'ai emprunté à Ossip Mandelstam le terme " s'adresser à " et l'on ne peut oublier que son poème sur Staline lui a valu la déportation vers la Sibérie. Pour moi, la langue poétique, par sa force, par sa capacité à aller à l'essentiel est " nécessaire ". Elle touche et permet aussi par son jeu d’interroger la réalité. Je publie un auteur belge Mathieu Coutisse, qui a écrit un livre très drôle et ludique sur les chapeaux, le livre s'appelle d'ailleurs Le chapeau d’Icare.   Sa légèreté, sa finesse, m'ont beaucoup amusée mais aussi son décalage, petit pas de côté me semble nécessaire pour mieux saisir et remettre en cause notre époque. Nécessité n'est pas obligatoirement gravité...

La poésie restera-t-elle toujours un genre à part, laissant à la ʺ prose ʺ tout ce qui est narration ?

Prose, poésie, bien sûr il y a une porosité des genres, la poésie emprunte de plus en plus à la vie quotidienne et aussi à la prose comme le roman peut par sa forme sa réflexion être proche de la poésie. Les catégories n'ont pas tellement d'importance. Je lis de la poésie tous les jours, à tous les instants de ma vie quotidienne, j'ouvre un livre, pioche au hasard et, parce que la langue joue et va à l'essentiel, je vais avoir un condensé d'émotions. Je refermerai le livre et le texte continuera à vibrer.
Le soir, paisiblement installée, je lirai un roman et me laisserai emporter dans un univers. Il est vrai aussi que j'aime lire un livre de poésie en commençant par le début et en cheminant jusqu'à la fin, mais je suis libre et c'est aussi cela que j'aime...

Écrivez-vous des poèmes en cachette ? Et si oui, vous éditeriez-vous, par exemple sous pseudonyme ?

Je suis une lectrice, j'adore découvrir des voix, des univers. J'ai écrit des livres d'art sur des peintres, j'ai aimé le moment où les choses se mettent en place, où l'on comprend comment le livre va s'articuler mais mon travail d'éditrice me plaît énormément. Donc pas de poésies cachées dans les tiroirs, pas de désir de publication et je crois que c'est bien : je n'ai pas d'ego d'auteur, je suis donc là pour servir ceux que je publie.

Propos recueillis par Bertrand du Chambon (21 mai et 7 juin 2017)

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