Les Pierres filantes, de Livane Pinet : Un premier roman au charme énigmatique

Voici un roman qui se joue de toutes les normes, défie toute taxinomie. Réaliste ou naturaliste ? Assurément pas (la citation de Novalis placée en exergue écarte d’emblée cette possibilité). Onirique, sans doute, au moins dans certaines de ses composantes. La poésie l’innerve quasiment de bout en bout. Encore convient-il de donner au terme de « poésie » son sens étymologique de « création ». Car l’univers qui lui sert de cadre est manifestement issu de la seule imagination de la romancière.
Bien malin qui lui assignerait une quelconque localisation géographique. Les forêts, les clairières, les hameaux désertés, les souterrains  et les masures en ruine, les villages où subsistent quelques rares habitants, accueillants ou hostiles, autant de décors relevant du rêve. On songe  parfois à un lendemain de cataclysme, parfois à une nature idyllique ayant recouvré toute sa pureté et où évolueraient de bons sauvages à la Rousseau.
Un monde de conte de fées d’où l’on s’attend à voir surgir l’ogre chaussé des bottes de sept lieues ou les sept nains de Blanche Neige. D’autant que les enfants, comme, du reste, les animaux,  jouent, dans l’histoire, un rôle non négligeable. Leur innocence, leur proximité avec la nature en font les intermédiaires parfaits entre les adultes, auxquels ils servent souvent de messagers, et le cosmos tout entier.

La féerie n’est, du reste, jamais très loin et le titre le suggère où les pierres se muent en étoiles. Ici, le son d’une flûte suffit à provoquer des métamorphoses et le pouvoir de la musique est infini. Un orage est capable de rendre la parole à un personnage muet qui se met à vaticiner.
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent, comme écrit le poète. Le récit baigne dans un panthéisme diffus qui pourrait, par endroits, évoquer un roman à thèse. Tout est dans tout (et réciproquement, ajouteraient les méchantes langues…). Le microcosme et le macrocosme se rejoignent, confirmant la géniale intuition d’Hermès Trismégiste. Dieu merci, pas de thèse assénée, pas de démonstrations intellectuelles. Tout se joue dans la suggestion, l’allusion, l’allégorie, la parabole. 

Voilà qui ne lève pas les légitimes interrogations du lecteur. Doit-il s’efforcer de décrypter des symboles  ou se laisser porter par le récit en s’abandonnant à son charme, sans chercher à savoir où l’auteur entend conduire son héroïne, au terme d’une errance qui constitue la trame même du roman ? Question lancinante.
Chaque fois qu’il semble loisible d’apporter une réponse, celle-ci se voit aussitôt démentie par un épisode qui vient mettre à mal l’hypothèse hasardée. Un seul exemple : l’incipit met en scène une femme qui s’enfuit de l’hôpital sur les instances d’un ami. S’agit-il d’une démente quittant un établissement psychiatrique ? C’est une possibilité, d’autant que Maud, qui se mue plus tard en Sélènè ou en Solène, n’a pas d’identité clairement définie. Pas davantage les hommes qu’elle va croiser sur son chemin et avec lesquels elle entretiendra des relations parfois amicales, parfois amoureuses. Assimilera-t-on l’errance de cette jeune femme attachante à un délire schizophrénique ?
Ce serait singulièrement réducteur et il faudrait alors faire fi d’autres aspects séduisants de sa personnalité. Elle est romantique et amoureuse. Le roman d’amour intermittent que Solène vivra avec Ossia trouvera son terme à l’île d’Oz, après des pérégrinations dont on ne saura jamais si leur portée était initiatique, allégorique ou morale.

En définitive, et faute de certitude, mieux vaut, s’agissant d’un roman déconcertant et plein de poésie, s’interroger avec Tchouang-Tseu : quand le sage rêve qu’il est un papillon, il est en droit de se demander s’il n’est pas un papillon qui rêve qu’il est Tchouang-Tseu.
 

Jacques Aboucaya
 

Livane Pinet, Les Pierres filantes, L’Atelier contemporain, février 2020, 144 p., 20 €

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