Souvenirs de la guerre récente
Inspiré par la lecture carcérale d'une nouvelle de Dino Buzzati, Les Sept Messagers, qui inscrit dans le temps la quête même de vivre et d'écrire, le prologue de ce nouveau roman de Carlos Liscano est un vade mecum
d'une grande portée littéraire et, surtout, pour le lecteur immédiat,
d'une grande intelligence, de celles qui conduisent à se sentir
meilleurs. Pourtant, entre la survie et l'absurdité la plus crasse, le
personnage qui se souvient de sa guerre récente n'a rien a envié à un
autre texte de Buzzati, plus célèbre, Le Désert des Tartares.
Car dans la recherche de soi, par la paix, au sein du chaos, c'est le minuscule qui rapproche encore de soi, et l'abandon. Alors, voir les exercices militaires abscons (la garde d'un rocher) comme des étapes initiatiques réappropriées par le récitant, et faire de ces très beaux Souvenirs de la guerre récente un livre essentiel sur le sens du devenir homme, ce n'est pas démentir le pari de l'auteur : dire le très grand du dedans en l'écrasant a priori par un dehors absurde, dans une langue qui met l'accent à ne pas divertir le lecteur de cette mission étrange et aboutie : vouloir être ce pauvre hère perdu dans le sens, et le trouver beau.
Loïc Di Stefano
Carlos Liscano, Souvenir de la guerre récente, 10/18, août 2009, 160 pages, 6,50 euros
Car
c'est d'attente qu'il est question ici. Attendre car le récitant est
plongé de force dans un monde militarisé qui lui est parfaitement
inconnu — il est pris de force par une milice et devient soldat dans un
camp quelque part. En arrière, sur le front ? il n'y aura a proprement
parlé aucune manifestation de l'ennemi, pendant les longues années que
vont durer cette nouvelle vie, sinon parfois par bribes forgées de
récits épars. Autant dire rien. Tout est conjonctures, la vie au camp
aussi bien que le reste. Et le sort des soldats aussi bien que celui des
officiers, enfermés au même titre que les autres au camp. C'est
l'attente d'un événement qui justifiera tout ce qui a été échafaudé et
qui va s'effondrant sur soi-même. Il faut que l'ennemi vienne, pour
donner un sens à ces vies passées à l'attendre ! la thématique du Désert des Tartares — aussi bien que des Falaises de Marbres de Junger ou du Rivage des Syrtes
de Gracq — est en place, mais avec ce hiatus admirable que l'on est
dans le regard d'un simple soldat, minus habens militaire qui va révéler
tout le tragi-comique de l'absurde situation qui le fait soi fixer un
rocher plusieurs jours de suite, en faction, soit attendre comme on fait
un vœu le café du matin, qu'il sait n'être qu'un peu d'eau chaude
vierge de tout nectar et qu'il laissera refroidir...
Carlos Liscano, dont l'œuvre répond à cette exigence de s'interroger sur le sens de l'humain,
pose ici, avec une simplicité de voix qui est tout un art, que c'est
dans le minuscule et le non sens que l'homme, quand il est confronté à
un système qui dépasse le cadre strict de son appréhension du réel,
trouve son épanouissement. Ainsi, le récitant va-t-il survivre et même
évoluer vers lui-même en trouvant sa place dans le camp. Il n'est pas
prisonnier, il est soldat. Mais de quelle guerre ? rien ne se meut à
l'horizon, et si c'est la farce d'un despote cruel, il enferme ses
officiers avec, au risque de n'être plus rien. C'est comme un
frémissement qui revient quand on s'assoupit et qu'on veut n'y plus
croire, mais l'ennemi est là ! alors, poursuivre, toujours, la mécanique
du vivant en s'investissant dans des projets absurdes et nécessaires.
Ce sera un jardinet. Tout un monde, donc, dans le monde trop
incompréhensible. Tout un monde où affirmer sa propre liberté.
Car dans la recherche de soi, par la paix, au sein du chaos, c'est le minuscule qui rapproche encore de soi, et l'abandon. Alors, voir les exercices militaires abscons (la garde d'un rocher) comme des étapes initiatiques réappropriées par le récitant, et faire de ces très beaux Souvenirs de la guerre récente un livre essentiel sur le sens du devenir homme, ce n'est pas démentir le pari de l'auteur : dire le très grand du dedans en l'écrasant a priori par un dehors absurde, dans une langue qui met l'accent à ne pas divertir le lecteur de cette mission étrange et aboutie : vouloir être ce pauvre hère perdu dans le sens, et le trouver beau.
Loïc Di Stefano
Carlos Liscano, Souvenir de la guerre récente, 10/18, août 2009, 160 pages, 6,50 euros
0 commentaire