"Un retour", initiation à rebours par Alberto Manguel
Entre l’Italie où il a fui voilà longtemps et qu’il a faite sienne, dans
un confort petit bourgeois si apaisant, et l’Argentine, qui fut sa
terre natale et le théâtre de sa révolte d’étudiant contre le système
oppresseur de la junte en place, l’espace et le temps semblait être
infranchissables, à rebours, pour Nestor Fabris. Pourtant, sous le
prétexte d’une invitation, le vieil antiquaire fait ce retour aux
sources qui va s’avérer, bien contre son gré, une régression plus
essentielle. Car la petite pérégrination qui semble anodine, même pour
un homme avancé en âge, dévoile au fur et à mesure un parcours digne de
la mythologie dantesque à laquelle il est fait explicitement référence à
plusieurs reprises (les cercles concentriques, les deux portes, etc.),
et Nestor Fabris, pris dans un tourbillon qu’il ne maîtrise pas le moins
du monde, va de rencontre en rencontre jusqu'au terme d’un voyage sans
retour.
Loïc Di Stefano
(1) Un souvenir du « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » d’Héraclite ?
Alberto Manguel, Un retour, Actes sud, octobre 2005, 79 pages, 12 euros
Tout se passe de la manière la plus naturelle, a priori,
dans un climat légèrement oppressant, assez pour poser le doute mais
assez peu pour se laisser écarter par la bonne conscience. Tous les
anciens camarades de Nestor Fabris lui apparaissent, comme par hasard,
au fur et à mesure de ses déambulations. Tout est marqué par une
géographie mouvante, et rien n’est jamais à la même place, les lieux et
les rues se métamorphosent sitôt le regard tourné ailleurs. Il erre
littéralement dans un lieu qu’il connaît mais où il ne se reconnaît
plus. Et il en est de même pour les personnes, dans cette masse
grouillante comme un flot ininterrompu et sans cesse grossissant, qui
progresser inexorablement (1). Une foule compacte qui sait où elle va.
Lui continue de se perdre dans un temps qui, par le même mouvement,
devient incertain, sombre et nébuleux. Le garçon de café déjà vieux dont
il se souvient est toujours là, immuable, comme figé dans le temps face
à un décor mouvant qui emporte tout et tout le monde. Au terme de ses
errances labyrinthiques, s’enfonçant toujours plus avant dans des
ruelles improbables, Nestor Fabris atteint une manière de refuge pour
âmes en peine, chacun ayant dans ce grand jardin paradisiaque une part
sombre à taire.
Mais ce voyage, sans retour, conduit surtout Fabris
au-devant de lui-même, face à ce qui fut sa lâcheté dans une période de
despotisme, face à l’abandon et, finalement, face à l’Histoire. Sans
avoir l’air de nous y pousser, Alberto Manguel, par son art consommé
d’emberlificoteur, nous convie par non-dits au festin de la Mémoire et
propose à notre réflexion, par son art poétique, un voyage amer en
terres inhumaines que fut l’Argentine. Un petit livre qui, certainement,
parce qu’il montre l’engagement de son auteur dans le réel et plus
seulement dans le littéraire, marquera.
Loïc Di Stefano
(1) Un souvenir du « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » d’Héraclite ?
Alberto Manguel, Un retour, Actes sud, octobre 2005, 79 pages, 12 euros
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