Le Dernier Ange, Robert de Goulaine

Si, dans notre époque agitée et superflue, une œuvre doit être confite comme renégate, c'est très certainement ce Dernier Ange d'un Robert de Goulaine inspiré et précieux. Rien n'y fait : cette lenteur magnifique et ce style impeccable sont une marque de grande qualité.

Un jeune homme oisif, Max, rencontre Alban, chanteur et « idôle » de toute une population, qui vit en reclus dans sa propre conception du monde, faite de renoncements et d'ébriété de haute tenue, entre des demeures improbables mais à l'abandon et sa voiture, paquebot dans lequel il traverse le monde, avec, sur la banquette arrière, en guise de sirène, la statue d'une femme. De cette rencontre Max — qui deviendra Vincent, car Alban comme Dieu nomme les siens... — connaîtra à la fois une vie différente et merveilleuse et une vie faite de douleur et de secrets. L'attachement de l'un à l'autre est presque amoureux avec, entre eux, plusieurs femmes qui seront toutes attachées éperdument à Alban et dont Max sera lui-même épris. Un monde qui s'aventure la nuit dans des villes et des villas désertes, qui avance de bar en bar à la rencontre d'un oubli de soi, car le dernier ange, s'il vient in fine, c'est que le parcours est achevé, que le Styx est traversé et qu'enfin reposé des tracas du monde l'âme peut atteindre à cette merveilleuse et reposante solitude qui fait la paix de l'Eternité.

Robert de Goulaine donne à lire une manière de roman d'apprentissage en creux, où c'est l'inaction et l'attente — comme chez Gracq, pour partie —, qui permet au personnage d'atteindre à un état supérieur de la connaissance de soi et qui sert de fond et de révélateur à sa propre richesse. Et de se demander si ce n'est pas dans l'oisiveté érudite d'un abandon des propriétés mondaines que l'homme peut se construire. Car s'il y a constamment perte, dans ce roman, de l'amour (la muse s'avoue prostituée et finie lesbienne défigurée par un accident de voiture), des biens matériels (le dénuement gagne un héros, Alban, de moins en moins flamboyant, portant comme une seconde peau un vieux costume de scène élimé), et, finalement, des illusions, c'est pour que de cette libération naisse Max.

« Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change »

Un roman gracquien est une gageure sinon maudite du moins périlleuse, il faut tenir le juste équilibre entre l'expression artistique d'un état en suspension et la progression des personnages vers une finalité dramatique. Robert de Goulaine parvient à tenir tous les équilibres — avec quelques faiblesses parfois, mais à l'impossible ... — si bien qu'il fait du dandy décati une ombre d'une rare noblesse, Alban magnifique d'exigence et de détermination, qui pousse son disciple — car c'est ainsi qu'il faut voir cette relation entre celui qui disait et celui qui apprend, Alban qui ne veut pas mourir sans avoir transmis son secret — à devenir lui-même, pour que se perpétue une certaine idée de l'homme.

Si Julien Gracq a permis la première édition de ce roman, altier et exigeant, c'est qu'il y retrouvait quelque chose de ses ruines personnelles. Gage, pour nous, d'un monde riche et simple à la fois, où l'histoire avance à son terme incontournable sans paraître progresser, dans une lenteur soyeuse et nonchalante, qui n'est pas moins propice à l'épanouissement. Un roman précieux, au sens plein du terme, majestueux et simple à la fois, qui ne cesse de se poursuivre en nous le livre refermé.


Loïc Di Stefano

Robert de Goulaine, Le Dernier Ange, Le Serpent à plumes, juin 2006 (1re éd. 1992), 157 pages, 6 euros

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