Le Libraire de Selimonte de Roberto Vecchioni, un hymne simple et délicat à la culture

Voici le récit étrange de ce qu’il advînt à Selimonte, petite bourgade reculée au fond de la Sicile où tout n’était que paix et harmonie jusqu’à l’arrivée d’un étrange libraire. Son installation va susciter les commentaires, puis les commérages, et enfin la vindicte publique sans que de sa part aucune autre provocation, aucune autre revendication que cette étrange offrande : lire des livres, tous les soirs, gratuitement.

Personne ne va l’écouter, sauf le premier soir, et chaque fois seul le narrateur se faufile hors de sa chambre, fait le mur et se cache derrière une pile de livres pour écouter le petit homme lire de son étrange voix des textes dont il ne comprend pas tout mais qu’il assimile très vite. De la poésie, des tragédies antiques, des textes âpres et forts. Le libraire sait-il qu’il a ce petit espion ? Ce clandestin sauve-t-il à lui seul toute son initiative ? Quoi qu’il en soit, un soir, le feu prend dans la librairie, après que les commérages se soient transformés en menaces, et c’est comme si la culture elle-même s’embrasait de toute part. Les villageois viennent assister au désastre et l’on s’interroge — à peine — sur le sort du libraire, sans doute prisonnier des flammes. Mais c’est tant pis pour lui, ce devait être un malfaisant ! Le nabot pourtant revient habillé comme un lutin — ce devait donc bien être un être magique — et sort un fifre dont il se sert, comme dans la légende joueur de flûte, pour attirer tous les livres à lui. Regroupés en un immense nuage bleu, ils le suivent et s’en vont se noyer dans la mer. De ce jour, le langage a déserté Selimonte. La ville a perdu ses mots, et avec eux le sens des choses. Aussi, pour survivre, tout se réorganise en fonction d’un nouveau système qui les emprisonne à l’intérieur de leur vie, car les choses qu’on ne sait plus nommer si l’on sait qu’elles apparaissent à telle heure à tel endroit, alors plus besoin de les nommer. Mais plus de liberté non plus, et aucun accès à l’immatériel de l’esprit. 

Tout n’est plus qu’un rigoureux carcan : sans les mots, la vie est une prison. Perdant le signe des choses, aurait dit Baudrillard, les habitants de Selimonte — du fait de la vengeance du libraire et de leur propre bêtise — ils en ont perdu le sens et, donc, la chose elle-même. Et ainsi Selimonte survit sans que plus personne n’exprime autre chose qu’un besoin matériel, donc sans se comprendre.Récit d’une punition infligée aux brutes et d’un cadeau — les livres — réservé à celui seul qui fut ému des lectures du petit homme, Le Libraire de Selimonte est un hymne simple et délicat à la culture, dans ce qu’elle a d’immédiat et de généreux, dans ce qu’elle a de nécessaire. Nul besoin d’être cultivé pour apprécier, il suffit — mais c’est déjà beaucoup demandé, semble-t-il,  — de vouloir écouter. Pure, altière — Borges et Eschyle sont cités — mais pour l’homme, la culture est ce sans quoi l’homme tombe dans la bête. Une très belle parabole que ce petit roman à l’allure légère, sur la vie réelle et la vie sans la littérature et une leçon d’amour aux livres et aux hommes.

Loïc Di Stefano 

Roberto Vecchioni, Le Libraire de Selimonte, Le Rocher, mai 2007, 122 pages, 14,50 euros

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