Le Paris du début du XXe siècle par Léon-Paul Fargue, piéton

Le Paris du début du siècle a incontestablement un charme qui ne se retrouve plus aujourd’hui, quelque chose encore du village où flâner avec ses quartiers bien identifiés et ses âmes, ses trognes et ses lieux emblématiques. Fin connaisseur de tout cela, et de beaucoup d'autres choses encore, Léon-Paul Fargue livre en 1939 le résultat de ses flâneries en de nombreux petits textes qui révèlent tous de cet art d’écrire qui, lui non plus, n’est plus en vogue…Rue de Lappe le soir, les Quais, Montmartre, Saint-Germain-des-Prés, La Chapelle (son quartier, qui est à des années lumières de ce qu’il est devenu…), l’Opéra, des cafés, des lieux "branchés", autant de lieux qui vont revivre sous la plume de Léon-Paul Fargue, qui va privilégier le souvenir qu’évoque les lieux en les traversant plutôt que de s’appesantir sur des détails d’histoire ou d’architecture. 

On n'est pas chez Aragon qui "monte" à la ville et trouve tout si, comment dire, intéressant ! Ici, c'est le rapport du poète qu'est Fargue à la ville, à cette sensation d'être dans une petite famille qu'l ressent, cette sensation qu'il nous donne à lire en de nombruses petites envolées, qui donne en partie sa force à ce voyage calme et lent. Plus tard, un auteur comme Giono reprendra ce rythme, dans un autre paysage, mais avec la même exigeance non-touristique de faire corps et âme avec le lieu. Ce ne sont pas, à proprement parler, des visites, mais des humeurs, des rencontres, ce qui donne aujourd'hui encore la force des textes et l'intérêtlittéraire et non seulement ethnologique de les lire.

Ces promenades sont l’occasion d’un grand saut dans notre histoire culturelle, où l’on retrouve des figures illustres d’alors et rien moins qu’oubliées aujourd’hui. Plane une certaine nostalgie non dénuée d’attrait, quelque chose dans le style et le sujet même de l’ouvrage qui garde  sa patine propre quel que soit l'endroit qu'il nous donne à voir (1). Les lieux revivent et, bien souvent, nous étonnent dans nos certitudes que le temps est figé. On voit notamment que le Café de Flore, qui pour nous est soit le lieu de Desnos, soit celui de Sartre et de ses épigones, est pour Fargues celui de Maurras, ce qui nous signale que les idées et leurs hérauts changent, mais que certains lieux demeurent ! Barrès sur les quais, Anatole France, Proust au Ritz, toutes ces figures défiles comme des acteurs de leur temps, non encore figés dans une postérité monocorde. Outre les artistes, les écrivains, les politiques, c'est aussi le « petit peuple » de Paris qui se dresse dans sa forme révolue. Plus encore, comme ses précédesseurs regroupés au XIXe siècle en keep sake, Fargue donne sa vision du Parisien et de la Parisienne en deux chapitres truculents.Petit regret, qui n’ôte rien au plaisir de lire cet intemporel Piéton de Paris, c’est que, justement, de Léon-Paul Fargue, prolifique dilettante, on ne trouve à lire que ce texte. 

Le CD audio de cette édition "collector" contient deux enregistrements : 1. la Voix de Léon-Paul Fargue enregistrée en 1951 - 2. des Entretiens avec Adrienne Monnier diffusés en mai 1947 sur la Chaîne Parisienne. Ces documents sonores, issus de l'INA, sont très précieux et restituent tant bien que mal la voix du poète.

Loïc Di Stefano 

(1) Certains auteurs aujourd’hui, comme Cyril Fleischmann à qui l’ont doit des monographies sur les quartiers Bastille, Hôtel de Ville, etc., tentent de prolonger cette expérience littéraire de la flânerie urbaine, mais on est très loin de Fargue pour le style, la tenue et la connaissance des mondes culturels. Ce sont d’aimables errances, sinon insipides du moins sitôt oubliées que lues. 

Léon-Paul Fargue, Le Piéton de Paris, Gallimard, "L'imaginaire", mai 2007, 304 pages, réédition collector abvec CD audio, 10 euros

> Lire la chronique consacrée au même livre par Gil Jouanard

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