Explosion du "Cercle de Famille" par l'adultère, très grand roman politique

Comment un roman, aussi simple soit-il, entre dans le cercle très fermé des livres cultes ? comment un récit intimiste peut-il rencontrer à la fois tout un peuple sans faire de populisme décérébrant et proposer une solution politique neuve qui réponde à l’inconscient de toute une nation ? C’est ce qu’a réussi Kojima Nobuo avec le récit des petites histoires d'un couple qui découvre sur le tard ses propres failles.

Le Cercle de famille, en effet, est un roman d’une franche banalité. Une famille japonaise moderne se disloque dans l’après-guerre au fil des aventures de l’épouse et des désordres qui s’installent dans la maison. Mais quoi, est-ce là tout ? Rien d’épique pour ce roman auréolé de toutes les gloires et monument de la littérature japonaise, classique entre tous dès sa parution en 1965 ? En effet, rien que de diffus, mais qui atteint à la prosopopée tant le discours individuel est transcendant et atteint à la vérité nationale.

Une couple moderne, donc, lui est traducteur de l’Américain dont il vante la littérature ; elle est femme au foyer. Et c’est l’Amérique, dont le Japon est un féal soumis, qui forge tout ce qui va identifier le couple. Leur maison même, où vit plus ou moins un ami G.-I., est sur le modèle américain, signe de modernité et de progrès. C’est à cette époque que le Japon perd petit à petit ses traditions pour copier celle du vainqueur, même dans le domaine sportif ou le Base-ball s’impose… Alors quand c’est dans le foyer que rôde le mal…

Car tout vient de l’adultère. Madame est (plus ou moins, selon les versions) forcée par un Américain que le couple a reçu chez lui — mais ce n’est que le prélude à découvrir que toute la vie du couple est jalonnée de ces divagations. Et le mari n’aura qu’une pensée, sobre mais annonciatrice de tout un monde en mouvement : « Nécessité de reconstruire l’intérieur de la maison ». Entendue à la fois comme le foyer domestique où demeurent de faux-amis, la nation où le vainqueur devient assez vite l’envahisseur, la Patrie qui se délite sur ses bases par l’adjonction des rites étrangers, cette simple phrase donne sens à tout un mouvement de libération des pensées qui commence alors. Voilà pourquoi, si simple et si calme, ce Cercle de Famille compte autant pour les Japonais, car ce qu’il y a de plus intime et d’identitaire en elle se reflète par le prisme délicat d’une petite histoire de famille qui se délite. Et si le modèle américain tant prôné s’avère un désastre parce que tout ce qui se construit dans la douleur (maison, adultère) ne se déconstruit pas, mais se détruit, c'est comme un signe d'espoir au lecteur : aussi profond soit-il entré dans l'intimité, l'intrus s'en ira. Quand la littérature, simple et belle, se fait une arme allégorique et politique.

Loïc Di Stefano 

Nobuo Kijima, Le Cercle de famille, traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu, Philippe Picquier, octobre 2006, 231 pages, 18,50 euros

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