Un court et très sensible roman sur les "TOC"

La petite narratrice de cet étonnant roman, Toc, vit dans une famille et plus largement un monde qui ne lui donne pas sa place, qui se pose à la fois comme un mystère et comme un constant générateur d'anxiété. Pour combattre ce mal-être, et de façon naturelle, presque naïve au départ, la petite Camille commence à compter, des gouttes d'eau, puis tout ce qui se porte à sa vue, instinctivement, mettant entre cette vie et elle un rideau de chiffres incessant et infini comme une protection. Mais cette protection devient aussi le carcan dans lequel elle s'est enfermée, forclose dans ses petites manies, consciente de cette inconciliable dualité qui ôte la douleur en en créant une nouvelle, et ainsi de suite.

"Si elle croyait que cela m'amusait, si elle croyait que je n'étais pas fatiguée de devoir respecter ces centaines de détails, de compter et recompter sans cesse, de faire et refaire toujours les mêmes gestes idiots jusqu'à en avoir la nausée, de ne jamais avoir un instant de liberté, un instant pour souffler !"

Les Troubles Obsessionnels Compulsifs sont des pathologies de l’anxiété. Les personnes atteintes sont victimes d'obsessions et sont contraintes, pour s'en défaire, de "ritualiser" sa vie (compulsions). Cette alternance constante obsession/compulsion les enferment dans une contrainte permanente qui devient leur propre vie : si Camille a l'air si sérieuse, trouble ses petites camarades au point qu'elle est à la fois respectée comme la meilleure élève et laissée un peu de côté parce qu'un rien étrange, qui passe ses récréation à former des dessins dans le sables, identiques à l'infini (1).

"J'ai commencé machinelament à les [gouttes d'eau] compter. Je ne pensais à rien. C'était comme si elles m'hypnotisaient. [...] La force faiblissait, la force s'évanouissait. Les nombres me délivraient de la force méchante !  / Tant que je comptais je la tenais en respect. [...] Oui, c'est comme ça que je me suis mise à compter pour la première fois. Je veux dire : pour éviter qu'il se produise quelque chose. [...] Ce n'est qu'après que j'ai constaté l'efficacité du système... Ces mauvaises pensées de sang, d'os écrabouillés ou de poitrine qui suffoquait, je ne pouvais les arrêter que d'une seule façon : compter jusqu'aà ce que je sois plus forte. Il fallait que je ne lâche jamais prise. / C'est pourquoi que j'ai cet air si sérieux : je dois tout le temps me concentrer."

Un court roman cruel et naïf, poignant et lucide sur les fantômes qui hantent une petite fille qui a tout pour être la plus heureuse, sinon ce qui la fonde. Le drame fondateur ne sera pas tu, ce qui met Camille en situtation d'être un monde de souffrance dnt la révélation, pour l'adulte, sera une surprise. Un conte cruel de l'enfance meurtrie, d'une écriture simple et juste — sa force est là, loin des fioritures, car Nathalie Ours donne la parole à la petite Camille elle-même —, dont on sort attendrie et remué. 

 
Loïc Di Stefano


(1) Bruno Bettelheim en montre de tel dans La Forteresse vide, crétaions des petits autistes dont il s'est occupés.

Nathalie Ours, Toc, Editions Joëlle Losfeld / Gallimard, janvier 2006, 90 pages, 9,50 € 

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