"Si Dieu existe", ou Alain Nadaud retrace la première tentative de prouver l'existence de Dieu

On connaît l’exigence littéraire d’Alain Nadaud qui s’engage dans des sujets âpres et altiers pour donner à lire une force qui n’existe plus, disons-le, dans la littérature française depuis Margueritte Yourcenar. Avec Si Dieu existe, qui ne déroge en rien aux qualités reconnues et appréciées de son auteur, tant dans la phrase que dans le sujet, il donne à découvrir les arcanes de la pensée de Saint Anselme de Cantorbéry (1033-1109), archevêque et docteur de l’église, qui le premier va entreprendre de prouver Dieu par la raison. 

Le jeune Clermont de Chartette, secrétaire du saint, n’a pas la foi, du moins il n’a pas eu l’illumination, sans être un mécréant il cherche au contact de son maître à s’approcher de Dieu. Mais son maître, s’il ne refuse pas la joie de la révélation, est en quête d’une démonstration logique de l’existence de Dieu. C’est cette recherche purement intellectuelle et d’une grande rigueur que va retranscrire dans ses carnets le secrétaire du saint, les étapes de la pensée si novatrice qu'elle dérange, mais, tout aussi bien, les quelques dévoilements aux limites de l’avouable qui font du saint, avant tout, un homme. 

« Ou ne bénéficierait-il pas de la grâce de retrouver Dieu en lui, par ses seules capacités de déduction ? »

Le pari est osé, qui consiste à la fois à enseigner et à prouver ce qui, justement, ne ressort pas de la raison. Car l’ambition n’est rien moins que de s’affranchir de toute l’histoire du christianisme pour ne faire qu’un avec l’Un et, ex nihilo, appréhender l’Absolu du divin à partir de l’esprit humain. Poussé par son secrétaire, saint Anselme entre dans une démonstration qui n’est pas sans évoquer les longues déambulations aristotéliciennes au terme desquelles l’ouverture se fait le plus souvent sur une mise en abîme de la question plutôt que sur une éventuelle réponse, car la réponse n’existe pas en soi, le parcours de la pensée lui-même est la réponse. « Le but, c’est le chemin » (Nietzsche). Mais le fait même que sa démarche soit aristotélicienne, auteur mis à l’index par les barons de l’église pour sa dangerosité (il ouvrait les esprit…), engendre bien des conflits avec ses pairs, qui s’opposent à l’aboutissement de cette aventure jugée sinon hérétique du moins contraire aux intérêts de l’église : maintenir la révélation comme unique moyen d’appréhender Dieu, c’est se réserver le monopole du contrôle des bonnes gens…

Car la pédagogie est aussi celle que saint Anselme réserve aux hommes, à tous les hommes pour lesquels il espère ouvrir les portes du christianisme par la raison. Cette ouverture, disons cette démocratisation par l’intelligence, n’est pas sans créer une crainte chez les tenants du pouvoir religieux qui gouvernent bien mieux un peuple craintif et abruti d’obscurantisme qu’un mouvement d’intellectuels éclairés. Et le pauvre saint, soucieux que de conforter sa propre foi, se voit la cible d’un complot en calomnie qui n’a rien de bien aimable. Pourtant la formulation de son raisonnement n'apparaît qu'en fin d'ouvrage, de manière résumée par le secrétaire qui agit aussi comme l'aiguillon, perfide qui va poser la question naïve mais utile à la progression de la pensée : Dieu est et a toujours été la sommes de toutes les qualités poussées à leur plus haute expression, il est le fondement même de la raison et marquer son absence c'est révéler un vide absolu qu'on pourrait aussi bien appeler Dieu. Nous ne sommes pas très loin du cogito cartésien, si ce n'est le sujet émancipé par les siècles... L'aboutissement de la pensée n'est pas le maître-mot de ce roman brillant, c'est le parcours de deux hommes faces à l'absolu : le saint qui sait où il marche, et son secrétaire qui n'est là que pour contrarier, imposer par ses maladresses et ses incompréhensions un effort supplémentaire du saint pour ouvrir le monde divin. Ce dialogue est beau, entre deux élans contraires qui abouissent ensemble.

Si Dieu existe n’est pas un livre facile, mais c’est une construction exaltante qui procure à l’esprit qui s’y engage une souplesse inaccoutumée. Il pose également l'homme devant ce questionnement magistral qui justifie de tout, car on est ici loin du retentissant « si Dieu n'existe pas, tout est permis » des Frères Karamazov, on est avec Nadaud dans le méticuleux et la lenteur, on ne veut rien détruire, mais tenter de trouver en soi quelque chose qui justifie de toutes les autres choses. Et la littérature d'Alain Nadaud, par son écriture subtile et si pregnante, parvient à nous faire trouver, au fond de nous, et en toute simplicité, cela, cette justification, cette vérité que la littérature justifie de tout.


Loïc Di Stefano


Alain Nadaud, Si Dieu existe, Albin Michel, août 2007, 241 pages, 16 € 

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