"A la vitesse de la lumière", grandeur et misère du rêve d'être écrivain

Le narrateur, jeune étudiant espagnol arrogant et suffisant qui rêve de devenir écrivain, se retrouve à l'université d'Urbana aux Etats-Unis. Il va y rencontrer Rodney, vétéran du Viet-Nam, et cette rencontre restera la plus importante de sa vie, celle qui va le marquer à tout jamais même s'il n'en aura vraiment conscience que bien des années plus tard.

A la vitesse de la lumière peut être lu à la fois comme un roman d'apprentissage et comme un roman-bilan, celui de l'écrivain encensé aujourd'hui qui se retourne sur son passé. Mais, ce ne sont que de simples indications pour tenter d'apprivoiser un livre magnifiquement riche, sauvage, impossible à domestiquer même en s'armant des commentaires les plus acérés. Disons-le tout simplement : A la vitesse de la lumière est un chef d'oeuvre, l'ouvrage d'un écrivain parvenu à la maturité.

Cercas se demande s'il est possible d'atteindre la vérité, de cerner l'identité réelle d'une personne et même celle d'un personnage. C'est un livre qui interroge la littérature, sa puissance de discernement. L'écriture a-t-elle vraiment ce pouvoir magique de faire apparaître la vérité, l'écrivain la main à la plume, ou pour plutôt les doigts sur le clavier, comme c'est plus souvent l'usage aujourd'hui, peut-il se faire démiurge ? Le narrateur nous convie à d'incessants allers-retours entre la vie et la fiction, mais sans que le lecteur puisse discerner ce qui appartient à l'un ou à l'autre, afin d'essayer de trouver une réponse. Dilemmes et contradictions, qui donnent parfois une tonalité « bernhardienne » — qui est loin de nous déplaîre - à ce roman, viendront comme autant d'embûches compliquer cette chasse au trésor, avec vanité, illusions, mensonges comme seuls phares pour éviter d'échouer dans cette océan plongé dans la nuit qu'est la vie. Mais, on pourrait bien dire le contraire car Cercas nous laisse croire, à certains moments que c'est dans la vie, dans ce qu'elle a de plus rugueux, de plus dramatique, de plus trivial, de plus douloureusement réel que l'on peut parvenir à une vérité « dans une âme et un corps ». 

Illustration. Rodney qui « A première vue, [...] avait l'air candide, indolent et anachronique de ces hippies des années 1960, qui n'avaient pas voulu ou pas su s'adpater au cynisme joyeux des années 1980, comme si de gré ou de force ils avaient été laissés sur le bas-côté de la route pour ne pas perturber la marche triomphante de l'histoire », est, en fait - on ne le découvrira, à notre grande surprise et même stupeur, qu'au fur et à mesure de la lecture -, à proprement parler, un criminel de guerre qui a appartenu à un bataillon d'élite ayant commis impunément de nombreux massacres pendant la guerre du Viet-Nam. Mais, ce serait là réduire la vie d'un homme que le ranger dans la case « monstre » une bonne fois pour toutes car l'impression de départ n'était pas fausse non plus. Rodney va devenir pour le narrateur une sorte de mentor, presque un maître, qui l'avertira des impasses auxquelles on peut être confronté, et surtout celles qui sont liées à l'écriture. La description sous forme de mise en garde, que fait Rodney de la gloire littéraire n'empêchera pas le narrateur d'y sombrer car véritablement c'est au faîte de sa renommée que le narrateur va toucher le fond et remettre en cause en profondeur sa vocation d'écrivain. N'écrit-on pas pour la seule gloire et celle-ci atteinte l'écriture que l'on croyait nécessaire à sa vie ne perd-elle pas tout intérêt ?

La figure de Rodney, si elle peut inspirer du dégoût au narrateur est le miroir de ce dernier, qui se comportera de manière peu enviable à son tour au cours du roman. Le narrateur, Cercas lui-même, sera petit à petit attiré, aspiré par son personnage, à tel point qu'il rêvera de le remplacer quand Rodney sera mort.

On peut craindre avec ce genre de livre de vite dériver vers une sorte d'auto-analyse, grandeurs et misères de la vie d'écrivain, biais souvent trouvé par les romanciers en mal d'inspiration. C'est tout à la gloire de Cercas d'avoir su maîtriser ce genre littéraire difficile, de nous donner avant tout un récit passionnant. Mais, on retiendra surtout que ce roman ose la confrontation avec le mal, comme l'ose toute vraie littérature, et l'on est là en pleine littérature.

Philippe Menestret


Javier Cercas, A la vitesse de la lumière, traduit de l' espagnol par Aleksandar Grujicic et Elisabeth Beyer, Actes sud, septembre 2006, 288 pages, 21 € 

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