"Seul ce qui brûle", récit de l’amour monstre.

L'AMOUR MONSTRE

Deux récits enchâssés pour dire ce jusqu’où l’absolu de l’amour peut conduire, dans la violence et dans l’abnégation, dans le renoncement et la mortification, voilà comment se présente Seul ce qui brûle, récit de l’amour monstre.

« Je crois que si nous sommes sur terre, c’est parce que la magnificence du jardin d’Eden ne nous était pas supportable. Comprenez-moi : c’est l’énergie de la vénération lorsqu’elle est devenue trop aiguë qui brûle les nerfs de l’homme. Ce n’est ni le dépit ni la malveillance — oh non ! —, c’est la vénération chauffée à blanc qui fait le meurtrier. »

Dans une Europe centrale où les châtelains se font encore des guerres incessantes, Sigismund d’Ehrenburg, lors d’une chasse, s’éprend de la fille de son hôte et lui demande sa main. Le noble est transformé par la vision de cette jeune femme qui semble l’attirer vers un ailleurs. Pas une fille de ferme ou d’auberge, non, un astre autour duquel, lui le Seigneur, va graviter à en perdre sinon la raison du moins la mesure des choses. C'est d'abord un amour absolu, une cohésion des esprits et des corps qui se reconnaissent et qui se donnent l'un à l'autre sans faillir. Puis, avec autant d'amour, s'intalle en Sigismund un trouble, l'autre face dévorante de la passion : la jalousie. Issue de rien, justifiée de rien, elle n'aura de cesse de le tarauder jusqu'au moment terrible.

Parce qu'il l'a vu jouer — innocemment, mais un cœur amoureux ne connaît pas la mesure des choses — avec le jeune page qu'il lui a lui-même donné pour compagnie, Sigismund d'Ehrenburg séquestre cette femme entre toutes qu'il adore, la force à boire dans le crâne fait chope de son « amant » trucidé sur le camp et à rester dans sa  chambre, enfermée, crâne rasé, à expier sa faute. Quelle faute ? celle d'être par trop l'absolu féminin de son maître et mari qu'il en perde toute réalité et, se privant lui-même des grâces de son amour,

« Et plus jamais ma plume n’aura à courir sur le papier puisque je vivrai ! »

Cloîtrée, tondue, tenue pour traître, Albe d’Ehrenburg, entourée des ossements de son page et supposé « amant » qui déchaîna la fureur de Sigismund, écris dans un recueillement fait de quiétude et de sagesse ce que sa situation lui inspire. Aucune amertume, aucune véhémence, c’est une âme parfaitement pure qui s’épanche à la recherche des raisons de son châtiment. Elle ne met pas en cause la décision de son « maître » mais cherche à comprendre, dans le récit qu’elle se fait des événements, ce qui a pu causer tant de trouble et rompre une union si parfaite.

La beauté du récit d'Albe est sa naïveté fondamentale, de la rencontre avec Sigismund (elle le voit cachée derrière un rideau et le reconnaît ntre tous les hommes de l'assistane, du cœur) jusqu'au moment de sa « libération » par un maître qui lui rendra la vie une seconde fois. Elle est indissociable de lui, regrette qu'on veuille la délivrer par la force et, par un magnifique moucvement que seul l'amour peut rendre véritable, apaise la colère de Sigismund par le fait même qu'elle lui donne raison, ou du moins qu'elle accepte ses raisons et tâche de se montrer digne d'une absolution. Sa sagesse semble la mettre à l'abri de la souffrance, pendant ces trois ans d'enfermement, alors que Sigismund est de plus en plus ulcérer par la punition qu'il s'est faite à lui-même en cloîtrant la source même de son bonheur.

Le récit à double voix pose la même et unique question : que me faut-il abandonner pour être digne à ses propres yeux de l'amour unique et véritable qui porte vers l'autre ? Si l'homme doit abandonner tous ses principes, pleurer, la femme doit abandonner sa liberté parce qu'elle est vouée à son mari comme à un maître en un lien volontaire dont elle est, finalement, le maître. Ce dont Sigismund aura conscience, contemplant les merveilles du monde alentour, alors qu'il va mourir, car l'urgence le rend plus sage. Ce que Seul ce qui brûle a de beau, c’est ce chemin au rebours des usages de l’un vers l’autre cœur, c’est la découverte dans l’autre de l’Absolu de l’amour, « pur Amour, Amour incommensurable ! » qui fait que n’existe rien d’autre. La langue de Christiane Singer est posée et douce et en même temps d’une grande violence, qui pose avec les mots du temps de son récit, le XVIe siècle (1), que de toute barbarie peut sourdre la plus éclatante lumière.



Loïc Di Stefano

(1) On ne s’étonnera que de rhizome ou d’atome qui dénotent de l’ensemble.

Christiane Singer, Seul ce qui brûle, Albin Michel, août 2006, 160 pages, 14 €

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