"Voler", les périgrinations d'un petit canard zen, œeuvre d'une grand sagesse et d'une grande beauté

Un livre merveilleux, qui apaise le lecteur

Pilou, petit canard courtaud dans son élevage comprend vite qu'il ne fera pas une longue saison, malgré la gentillesse du garçon qui le nourrit, s'il suit le chemin tracé par ses aînés : manger, rentrer dans l'enclos, être vendu. Il lève la tête au ciel et voit passer des oiseaux, qui volent ! voilà son chemin, il va devoir comprendre pourquoi il est pourvu d'ailes et ne vole pas, il va devoir devenir un canard volant.

« Ne cours pas après tes désirs. Fais en sorte que l'endroit où tu te trouve soit le centre de l'univers »

Ce qui peut sembler de prime abord comme une fable naïve pour enfants, un énième conte sur la découverte de soi, n'est rien d'autre qu'un énième conte sur la découverte de soi, une fable naïve pour enfants dont la principale force est de ne pas tricher, ni avec la style épuré et d'une grande délicatesse, ni avec l'intrigue. Le petit canard n'est pas transcendant, il ne fait que des rencontres dignes d'un petit canard, même s'il côtoie des Maîtres qui vont chacun lui enseigner une partie de l'art qui, une fois toutes ces techniques assemblées, feront de lui le canard volant dont il rêvait.

« Celui qui ne souffre pas pour s'améliorer ne sera jamais parfait »

Sortir de l'enclos, c'est accepter le monde, et ses enseignements. Pilou va devoir confronter sa propre expérience du monde, son corps chétif, ses désirs et sa pugnacité aux différents personnages qu'il rencontre : une taupe, une vieille merlette, un héron, un boeuf, une grue qui va le réconforter... tant et si bien que, poussé toujours vers l'avant et verts le fond de lui-même, Pilou va atteindre un lieu fort éloigné et intégrer une troupe de canards sauvages. Il s'est libéré, il a dépassé son premier stade matériel mais reste attaché au sol, ne sachant toujours pas voler.

« […] le corps sans l'esprit est une coquille vide. Ce n'est qu'ensemble qu'ils arrivent à jouer chacun péniblement leur rôle. »

Tout le parcours difficile de Pilou, qui va le forcer à s'imposer une rencontre de rupture avec lui-même, est un combat permanent : contre ses forces, contre ses espoirs, contre sa nature même. Mais ce combat, achevé, le tiendra pour un « éveillé », cet être particulier qui se regarde toujours avec conscience et pleinement. Quand enfin, à force de sacrifice, de pertes et d'abnégation, il atteindra à ce stade finalement naturel pour un volatile de voler, alors Pilou sera un maître à son tour, rayonnant de sa propre force. Mais le chemin du retour, celui de l'enseignement aux autres, est encore long, et se montrer volant au retour de l'enclos natal ne suffira peut-être pas pour changer la nature de ceux qui, finalement, se satisfont de l'état de pesanteur. L'expérience est propre à chacun, et Pilou n'est pas un modèle à imiter, mais une source d'inspiration pour que chacun en soi trouve son chemin et la nécessité de son envol.

La symbolique est magistrale : l'arrachement à la matière comme signe d'émancipation par l'éveil intérieur des contingences matérielles, y compris celles qui me forment moi. Ce petit texte délicieux, sans âpreté, d'une langue fluide et d'une grande intelligence des sentiments, est l'œuvre d'un moine qui évoque par la fable le long chemin d'un éveil. Rien de trop, y compris les illustrations d'une grande beauté, dans ce condensé de sagesse et de paix qui force l'admiration.



Loïc Di Stefano

Moine Jaeyeon, Voler, illustrations de Kim Sehyeon, traduit du coréen par Lim Yeong-hee,Philippe Picquier, juin 2009, 153 pages, 16,50 €

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