"Evviva l'Italia", trois Giro rêveur et littéraire, par Bernard Chambaz

La boucle triplée

Partir à bicyclette pour faire un double voyage dans le temps, voilà ce que nous propose Bernard Chambaz dans son très estimable Evviva l’Italia. Même trois voyages tout-en-un qui partent chacun sur la piste parallèle et savoureuse de la mémoire. Tout n’est bien sûr qu’un seul et même récit mais ce sont bien trois fils que l’on suit en même temps.

Le premier, dont le récit est fait comme un cahier au jour le jour avec les étapes et les souffrances de la selle est la réplique quelques années plus tard de ce Giro si mythique qui, en outre de mettre en avant le duel Coppi – Bartali, commence le jour de la naissance de notre auteur ! l’ambition n’est pas de refaire un exploit sportif, à 57 ans Chambaz n’a pas cette bêtise là de jouer au jeune homme, mais il veut se prouver à la fois qu’il est quand même capable, encore, de vivre son propre moment particulier, et en profite pour nous conduire dans une balade un rien saccadée sur les petites routes de l’Italie. Si la plume manque à notre avis d’émotion et reste parfois trop récit d’étape, sourd de ce voyage une émotion assez particulière, fait essentiellement d'amour pour ce cadeau étrange que Bernard Chambaz s'offre, dans la souffrance mais le luxe. Sans toutefois échapper à quelques fadaises pour touristes, le récit est bien conduit et ne nous laisse rien que de délicieux en bouche.

Le second, car son tour d’Italie est avant tout un exercice de mémoire physique du Giro 1949, c’est justement ce qui justifie le premier, pour ainsi dire, et lui donne son sens : refaire, à son rythme, et seul, les étapes une à une du Tour d’Italie si important pour l’auteur. Il s’agit la de mimétisme, de reproduire dans sa chair les souffrances qui furent tant admirées. Mais quand meme, un peu, de rejouer un moment particulier de sa vie d'enfant.

Le troisième, enfin, exercice d’admiration, est la gageure de reprendre au fil d’une plume émue de pouvoir s’offrir ce luxe, le récit que fit Dino Buzzati, payé par un journal italien pour suivre ce Giro 1949, et donc, bouclant la boucle, justifier d’un point de vue littéraire les efforts physiques (la balade en vélo) et culturels (les étapes du Giro 1949). Mais cette confrontation avec le tour littéraire de Buzzati remet en question même sa lecture, car il est passé de l’autre côté et comprends maintenant, ans sa chair et ses muscles, ce qu’il y a de particulièrement grand dans cet effort de forçat de la route, pour reprendre l’expression forgée par Albert Londres. Clin d'œil supplémentaire, dans le texte de Buzzati un monsieur de 57 ans suit les étapes du Giro 1949, à son rythme, sans rien espérer qu'une satisfaction personnelle. Il fallait que Vhambaz, devenu ce monsieur de 57 ans, ne tarde pas plus pour enfourcher sa bicyclette !

En un texte dense et enlevé, Chambaz s’offre une triple boucle assez belle qui s’échappe des clichés cyclistes pour faire, comme il le signale d’ailleurs assez bien en incipit, de la littérature. Sentimentale au sens beau du terme, sans exploit sportif (même s'il faut enchaîner les cols et souffrir les kilomètres), sans ferveur médiatique, pour la simple et seule raison qui magnifie tout : l'art.

Loïc Di Stefano


Bernard Chambaz, Evviva l'Italia, Panama, mai 2007, 132 pages, 18 € 

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1 commentaire

J'adore ! En plus Bernard Chambaz était mon professeur d'Histoire au Lycée, ça donne un peu plus de sentimental à la lecture.