"La Ruche bourdonnante, ou les crapules virées honnêtes", fable qui prend prétexte de la ruche pour instruire les hommes...

Prenez une fable anglaise en vers publiée en 1714, sous l'anonymat, parce qu'alors le propos était bien trop fort pour n'être pas interdit, prenez une société dite idéale, prenez l'ironie et le froid regard du moraliste, mêlez le tout en une langue rafinée et pleine d'allant, et vous y verrez tout de notre société dans la moindre parcelle de sa crasse. L'influence de La Fontaine dans cette œuvre qui prend prétexte de la ruche pour décrire la société, est à elle seule gage de mauvais esprit bien placé et d'universalité des situations. Et quand il s'agit de critiquer la philosophie politique des adeptes de la République de Platon, où l'orde règne en seul maître entre les gens et les choses, alors la satire la plus violente est la plus efficace.

Le principe est assez simple, mais édifiant : la ruche, ensemble harmonieux, n'est pas une paradis mécanique ou toutes les abeilles vont chacune à leur tâche unique dans la seule fin du bonheur collectif. Il y a du vice, du crime, du vol et des injustices, des passe-droits et de honteuses manières. Mais, justement, ce sont ces divergences qui font tourner rond la ruche. Chacune des corporations dont l'état supposé est l'ordre est pris à part, à l'exemple des médecins :

« Les médecins préféraient la réputation à la science, et les richesses au rétablissement de leurs malades. La plupart, au lieu de s'appliquer à l'étude des règles de l'art, s'étudiaient à prendre une démarche composée. »

Si l'on reconnaît la Fable de La Fontaine Les Médecins (1), le propos — comme pour les avocats, les juges, etc. — est surtout de détourner l'homme de sa fonction, d'assigner à chacun une fonction inverse à celle que son titre laisse attendre, si bien que rien n'est fondé sur rien et qu'au lieu d'ordre c'est d'une belle bande de gredins dont il est question. Mais le vice a le pouvoir de faire qu'une Nation s'enrichisse et se renforce, soit crainte de ses voisines et prospère. 

« Chaque ordre était ainsi rempli de vices, mais la Nation même jouissait d'une heureuse prospérité. » Et c'est la concorde civile qui va appauvrir la Nation en la privant de ses maux, en m'asceptisant et et l'offrant en bastion sans plus d'armée aux ruches voisines et toujours combattantes. Si la morale doit se dire, puisque c'est d'une fable qu'il est question, c'est que le vice prévaut à la vertu !

Un petit livre plein de malice, réjouissant et cruel à la fois, mais si percutant de vérités !

Loïc Di Stefano

(1)  « Le Médecin Tant-pis allait voir un malade / Que visitait aussi son confrère Tant-mieux; / Ce dernier espérait, quoique son camarade / Soutînt que le gisant irait voir ses aïeux. / Tous deux s'étant trouvés différents pour la cure, / Leur malade paya le tribut à Nature, / Après qu'en ses conseils Tant-pis eut été cru. / Ils triomphaient encor sur cette maladie. / L'un disait: Il est mort, je l'avais bien prévu. / - S'il m'eût cru, disait l'autre, il serait plein de vie. »
(livre V)


Bernard Mandeville, La Ruche bourdonnante, préface et postface de François Dagognet, adaptation en prose de Daniel Bartoli, La Bibliothèque, octobre 2006, 110 pages, présentée avec la version en prose et le texte anglais, 12 € 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.