Steve Tesich, "Karoo" : La perversité du monde intellectuel

Unique roman d’un américain mort en 1996 et né en 1942, Karoo a été achevé quelques jours avant la mort de son auteur Steve Tesich. Un roman-fleuve qui fait grand bruit.

On parle beaucoup de ce livre. Coup de cœur des libraires, ce Karoo semblerait avoir trouvé sa place entre Roth et Easton Ellis, Richard Russo et Saul Bellow : à la lumière de telles comparaisons, comment résister à la lecture de ce gros roman de 600 pages ?

 

Tout commence à la chute de Ceausescu, mais à New York. Le début des années 90 est un moment charnière dans l’Histoire, les pays communistes s’effondrent, les actualités transmettent heure par heure le détail des bouleversements, le narrateur Saul Karoo médite sur sa vie dans ce nouveau contexte mondial. Homme défraichi, blasé, la cinquantaine, Saul Karoo travaille comme script doctor pour Hollywood, redécoupe, sauve ou massacre les films des autres et gaspille son temps à discuter avec sa femme de leur futur divorce sans jamais passer à l’acte – alors qu’ils sont séparés. On découvre rapidement ses pathologies : une impossibilité à rester sobre quelle que soit la quantité d’alcool qu’il ingurgite, une fuite devant l’intimité. Fuite à tout prix devant toute forme d’intimité. Avec qui que ce fût, tendance qui fait de lui le voyeur cynique de la petite société qui tourne autour de lui. Celui qui n’existe qu’en tant que parasite du scénario des autres est devenu un mégalomaniaque aigri, méprisant tout le monde, y compris son fils adopté et son épouse. Serait-ce la frustration dans l’écriture ? Je pense que tous les tyrans sont des écrivaillons glorifiés, des hommes qui réécrivent comme moi. Rien d’original dans ce constat, mais ce que le narrateur va mettre en œuvre pour exister est une entreprise d’un machiavélisme au long cours. Quand son employeur lui demande de réécrire un film qui se révèle être un chef-d’œuvre, Saul Karoo n’hésite pas, il s’exécute. C’est dans ce film que joue la mère biologique de son fils adopté. Cette information va faire de lui le grand manipulateur d’une partie d’échecs.

 

Réflexion sur la société du spectacle, le pouvoir et la force du mensonge, Karoo met en scène le jeu pervers d’un médiocre qui voudrait être Dieu. L’idée était ambitieuse, mais le livre trop long, alourdi par des métaphores maladroites n’aurait peut-être pas suscité autant d’enthousiasme si son auteur était toujours vivant. C’est sans doute là aussi que réside la perversité du monde intellectuel.

 

Stéphanie Hochet

 

Steve Tesich, Karoo, traduit de l’anglais (américain) par Anne Wicke, Monsieur Toussaint Louverture, février 2012, 607 pages, 22 €

 

> Lire également la critique de Raphaël Juldé.

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