Gilles Lapouge : Lorsqu’un écrivain révèle les autres

Né en 1923, Gilles Lapouge est une des plus grandes plumes contemporaines couronnée de grands prix littéraires. Son dernier opus est une déclaration d’amour à ceux et celles qui l’ont accompagné toute sa vie : les écrivains.
Rien n’est plus délicieux qu’un auteur qui se repenche sur les lectures qui l’ont marqué, formé et qui nous en livre des pépites de réflexion et d’humour. A la fois discret et présent, Français et Brésilien, homme et animal - un de ses grands ouvrages s’intitule L’âne et l’abeille -, Gilles Lapouge est un géographe de la littérature, il explore tous les sujets, l’érotisme, les révolutions, la peinture. Et nul doute que s’il est devenu cet auteur si riche c’est parce qu’il a beaucoup relu, revenant parfois sur ses premières impressions de lectures. Je comprends à présent que Marguerite Duras fut une des plus belles voix de son siècle et que le style absent de Simenon est un grand style. Il faut parfois le passage du temps pour percevoir ce qui nous avait échappé.

De ce livre foisonnant au titre étonnant – quid du sergent Bourgogne dans Maupassant, le sergent Bourgogne et Marguerite Duras ? –, on retiendra le portrait de certains génies littéraires tel Tolstoï qui passa une grande partie de sa vie à rédiger dans la fureur des textes sur les divergences entre le discours de l’Eglise et l’enseignement de l’Evangile, des textes que personne ne lisait. Léon Tolstoï écrit sans cesse et juge la plupart des auteurs indignes, il voue à l’oubli toute une charretée d’artistes […] Baudelaire est un "rimailleur malsain" et Verlaine un ivrogne. Mallarmé devrait avoir honte de ses obscurités mais il en est fier. Décidément, l’auteur d’Anna Karénine ressemblait à un misanthrope. On retiendra aussi le portrait de l’écrivain norvégien Knut Hamsun un jour conférencier sur Abraham aux Etats-Unis, un autre gardien de porcs puis, de retour à Copenhague, écrivain admiré avec son livre La Faim inspiré de son vécu. Il mit en scène sa bouffonnerie et ses mensonges étourdissants, baroques au possible dans d’autres livres autobiographiques.
Autre personnage charismatique : Maupassant. Maupassant le canotier, le colosse qui aimait montrer ses bras musclés par la boxe, la savate, les agrès etc. et bien sûr, par les avirons. "Canoter, ce fut ma grande, ma seule, mon absorbante passion pendant dix ans." L’homme plaisait aux femmes, grand consommateur sans dignité, il se livrait à la débauche se sachant atteint de la vérole, et en informait sa partenaire après l’acte… Monstrueux et génial, il a su définir l’idéal du style : la nature de cette langue est d’être claire, logique, nerveuse.

On adorera le passage très enlevé sur Somerset Maugham, l’écrivain anglais le plus francophile qui déclarait qu’il y a trois règles à respecter pour faire un roman. Malheureusement, personne ne les connaît. Les femmes ne sont pas absentes avec Colette qui eut trois vies et les aima au point que l’Eglise lui refusa des obsèques religieuses alors que l’Etat lui accorda des funérailles nationales… Napoléon, tête mathématique […] farcie de songes vue par le sergent Bourgogne, arrive comme un cheveu miraculeux sur la soupe. Et de dessiner le portrait de l’Empereur comme un romantique de la géographie. Une géographie littéraire qui ne pouvait pas laisser Lapouge indifférent.

Un tel livre démontre que, décidément, ce sont les écrivains qui parlent le mieux des livres des autres.

Stéphanie Hochet

Gilles Lapouge, Maupassant, le sergent Bourgogne et Marguerite Duras, Albin Michel, février 2017, 358 p.-, 22 €

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