Planète à louer, le retour du politique en SF

Yoss est un au
teur cubain que des problèmes de censure ont
conduit à être publié à l’étranger, particulièrement en Espagne. Peu connu dans notre pays, il a commencé à être traduit par les éditions Black Coat Press avec le recueil Interférences paru en 2009 et les éditions Mnémos prennent aujourd’hui le relais.

Une intrigue classique

Au début du XXIe siècle, la Terre est au bord d’une guerre nucléaire et d’un effondrement écologique imminent. C’est le moment que choisissent des espèces extraterrestres — appelées xénoïdes par l’auteur — apparemment bienveillantes, pour prendre contact avec les hommes. Constatant l’incapacité de l’humanité à s’organiser, désireux aussi d’empêcher son développement pour éviter d’avoir à affronter ultérieurement un rival, les xénoïdes prennent le contrôle de la planète dans le but de restaurer son environnement — quitte à détruire l’Afrique en guise d’avertissement — et l’intègrent au système économique galactique en en faisant un paradis touristique.

Réduits à un statut de citoyens de seconde zone, dans l’impossibilité de progresser — tout transfert de technologie est strictement encadré par les xénoïdes —, les terriens n’ont qu’une seule envie : fuir leur condition d’indigène, quitter la Terre. À n’importe quel prix s’il le faut… Ce roman part de l’idée du premier contact entre humains et extraterrestres et de ses conséquences socioculturelles, au demeurant un thème classique de la Science-Fiction. Occasion idéale pour Yoss d'aborder sous plusieurs angles la société cubaine contemporaine.

Derrière le décor, Cuba aujourd’hui

Comme l'auteur l'écrit dans sa brève postface, la Terre décrite dans le texte est en fait la Cuba contemporaine tandis que la galaxie est le reste du monde, les extraterrestres étant les habitants des autres pays.

Il peaufine sa parabole en décrivant précisément les travers de la société cubaine : corruption des forces de l’ordre, importance de la prostitution (les travailleuses « sociales »), fuite des cerveaux et des sportifs de haut niveau à l’étranger, et pour finir le drame des émigrés clandestins (on pensera à tous ces réfugiés cubains qui affluent régulièrement sur les côtes de Floride). Sans parler d’une sévère satire dans la description du comportement de nos touristes xénoïdes sur Terre… Tout cela n’est pas nouveau car le récit de science-fiction a souvent été un prétexte pour parler du présent : rappelons-nous de Jack Barron et l’éternité de Spinrad (puissance des médias et trafic d’organes) ou des Robots d’Asimov (pouvant être interprété comme une allégorie sur le racisme et la tolérance). Yoss s’inscrit donc dans une lignée d’auteurs que l’on peut qualifier de « classiques », et comme un héritier respectueux du genre.

Une structure narrative ambitieuse

Sur la forme, le texte s'apparente à la science-fiction de l'âge d'or, avec un style sec et minimaliste. Si les influences d’Asimov et d’Heinlein sont assez claires, le style et la structure « chorale » du livre font également penser à Raymond Carver et à l’adaptation cinématographique tirée de ses œuvres, Short Cuts de Robert Altman. À première vue, l’ouvrage apparaît comme un recueil de nouvelles, introduites chacune par un avant-propos ; mais si elles racontent chacune une histoire différente, l'ensemble ne saurait être lu sans respecter la chronologie : elles sont liées par des personnages récurrents dont on décrit l'histoire personnelle successivement, avec un fil conducteur : tous ont, directement ou indirectement, partie liée avec un personnage, Jowe, protagoniste de l’avant-dernière histoire. Ainsi le terme de roman s’impose pour qualifier cet enchevêtrement d’histoires, introduction à un monde si proche du nôtre quant à son rapport à l’argent et au pouvoir.

En tout cas, Yoss propose un ouvrage politique — au sens où il nous parle, derrière la métaphore « science-fictionnesque », de son pays —, ambitieux du point de vue narratif, du niveau de beaucoup d’écrivains américains (et français) du genre. On souhaite donc que ses autres œuvres soient traduites prochainement.


Sylvain Bonnet

Yoss, Planète à louer, traduit de l'espagnol par Sylvie Miller,éditions Mnémos, collection « dédales », Janvier 2011, 256 pages, 19,50 €
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