"Tancrède", Apocalypse 1100

Retour aux croisades


Fin du XIesiècle : l’Occident entre en croisade. Le jeune Tancrède de Hauteville, chevalier courageux, chrétien ardent,répond à l’appel du pape Urbain II et se range sous la bannière de son oncle, le féroce Bohémond de Tarente, aussi intéressé par la délivrance des lieux saints que par les richesses de l’empire byzantin. Idéaliste, Tancrède considère surtout la croisade comme un chemin vers Jésus. Les tractations des chefs de la croisade avec l’empereur de Byzance, Alexis Comnène, ennemi de sa famille, le choquent et le jeune chevalier se perd dans les méandres subtils de la politique : qui manipule qui ?

Plus les Croisés avancent en terre Sainte, plus il est horrifié par leurs exactions et leurs crimes. Il commence par se séparer de son oncle puis à vouloir donner un autre visage des Francs etdes Normands aux populations occupées. Il respecte les lieux de cultes, les pratiques et les habitudes des populations. Petit à petit, il envisage une autre voix. Il est alors contacté par un homme mystérieux pour trahir ses anciens alliés. Reniant sa foi dans une ambiance apocalyptique, il se convertit à l’Islam avec un but : remodeler le Proche-Orient puis le monde selon les principes de la secte des assassins en se servant des Croisés pour abattre les anciens Etats décadents et établir un nouveau pouvoir plus fort, plus moderne, qui mettra fin aux divisions des croyants.

Une uchronie archétypale

Soulignons-le : Ugo Bellagamba s’est très bien documenté. L’arrière-plan du livre - rivalités entre seigneurs normands et Byzance, morcellement géopolitique du Proche-Orient à la veille des croisades, diversité culturelle, religieuse et linguistique de la région — est solide. Quant à l’écriture, elle choisit d’emblée le créneau du récit à la première personne, sous forme de fragments (parti pris formellement et historiquement crédible car nombre d’ouvrages moyenâgeux ne nous sont après tout connus que fragmentairement) : l’auteur peut ainsi faire ses choix et pratiquer l’ellipse. La compréhension de l’ensemble n’en est pas gênée et le lecteur peut tout saisir de l’itinéraire de Tancrède, tant intellectuel que religieux.

Au niveau narratif, l’histoire prend. On peut déplorer une certaine tendance aux descriptions sanglantes voire « gore » des champs de bataille : tant de membres arrachés lors de la prise d’Antioche ou de Jérusalem, et ensuite de massacres… — mais après tout, mieux valait mourir sur le champ de bataille qu’être blessé ou fait prisonnier. En fait, si problème il y a, il est ailleurs.

Un présupposé qui agacera

Dans cet ouvrage, l’auteur n’y va pas par quatre chemins : les Croisés sont des monstres assoiffés de sang, pratiquant pogroms — l’anachronisme n’est pas trop fort —, massacres de civils. Le soldat musulman, quant à lui, paraît plus noble. C’est un parti pris de l’auteur. La réalité historique était plus complexe. S’il y eut des massacres commis par les Croisés, par exemple lors de la prise de Jérusalem, faire des musulmans des innocents est excessif. Si Saladin, un siècle après la croisade lancée par Urbain II, eut un comportement parfois chevaleresque — rappelons qu’il y eut des passerelles entre la noblesse de terre Sainte et grandes familles musulmanes -, le choix laissé lors de la reconquête fut simple : le statut de dhimmi ou le départ pur et simple. L’auteur paraît ici sacrifier à une mode intellectuelle, celle de la repentance et charge beaucoup les Occidentaux. C’est un choix. Il est agaçant sur certaines pages, plus par systématisme des hypothèses de départ — développer le complot des assassins et choix de focaliser sur l’itinéraire de Tancrède - que par réelle ambition idéologique.

Voici donc un livre qui plaira aux amateurs d’uchronie et de controverses.

Sylvain Bonnet

Ugo Bellagamba, Tancrède,Gallimard, Folio SF, Janvier 2012, 374 pages, 7,50 €
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