"Vortex", Spin acte trois : Aria final

« Le ciel était d’un bleu dur, masqué au sud-est par des nuages qui ressemblaient à de vitreuses pousses coralliennes. »

 

XXIe siècle, quelques années après le Spin : c’est l’été dans la ville de Houston, où règne une chaleur étouffante amplifiée par l’effet de serre. Au State care - institution qui parque les clochards, chômeurs, et autres dépressifs aux frais de l’Etat -, le docteur Sandra Cole reçoit un nouveau patient, Orrin, amené par un policier nommé Bose. A première vue, il s’agit d’un attardé mental, un campagnard simplet qui a échoué à Houston suite à une impulsion soudaine. Il fait pourtant une drôle d’impression à Sandra, surtout quand Bose lui remet des carnets qu’Orrin est censé avoir écrits : non seulement, il est improbable qu’ils soient l’œuvre d’un attardé, mais ils racontent en outre l’histoire d’un nommé Turk Findley, échoué dix mille ans dans le futur sur une des planètes que les Hypothétiques ont ouvertes à la Terre. Or Turk Findley est le fils de l’ancien patron d’Orrin. Ce dernier, dont Sandra s’est vue retirer la responsabilité pour d’obscures raisons administratives, s’enfuit…

 

Trois voix

 

De fait, trois histoires s’entremêlent dans Vortex : celle de Sandra Cole, médecin du jeune Orrin, située dans l’Amérique post Spin ; celle ensuite de Turk Findley, déjà croisé dans Axis, enlevé par une secte dix mille ans dans le futur, dont le vaisseau traverse les arches des Hypothétiques dans le but de revenir sur une Terre devenue inhabitable afin de rencontrer ces derniers ; celle enfin d’Isaac Dvali, enfant qui n’en a jamais été un, conçu pour parler à ces entités mystérieuses.

 

A travers le personnage d’Orrin Mather, deux questions sont au cœur de ces trois récits : que sont les Hypothétiques et quels sont leurs buts (pour le savoir, lisez le livre !) ? Est-il possible pour un être humain de tout recommencer ?

 

Les carnets lus par Sandra Cole racontent l’aventure de Turk et Isaac dans l’avenir. Il s’agit d’un voyage initiatique qui amène le lecteur à découvrir la nature de l’univers dans lequel les Hypothétiques ont projeté l’humanité. Comme souvent chez Wilson, les trajectoires personnelles s’allient à la trame SF (le Spin, les Hypothétiques) grâce à un élément essentiel, dont beaucoup d’auteurs du genre manquent : le style.

 

« Je m’appelle Turk Findley et je vais vous raconter tout ce que j’ai vécu après la disparition de tout ce que j’aimais ou connaissais. »

 

 

L’Ecrivain de science-fiction existe, je l’ai rencontré

 

Dire de Vortex qu’il s’agit d’une simple conclusion de la trilogie inaugurée par Spin ne rend pas justice à la qualité du roman, ni à celle de la trilogie. Chaque ouvrage reprend la toile tissée par le précédent volume. Par sa structure, on pourrait comparer cette trilogie à un opéra en trois actes et, par son ampleur, à d’autres grands cycles de science-fiction : par exemple Dune de Frank Herbert et, dans une moindre mesure, Helliconia de Brian Aldiss. Car ce cycle est en phase avec les interrogations actuelles : citons l’effet de serre, la conciliation de la protection de l’environnement avec le développement de la civilisation industrielle, les manipulations du génome. Il a autant d'impact que l’œuvre de Frank Herbert dans les années soixante et soixante-dix.

 

Vortex est aussi un condensé des qualités de Robert Charles Wilson : ce roman constitue à ce jour l’accomplissement de son trajet littéraire, commencé il y a plus de vingt-cinq ans avec la Cabane de l’aiguilleur. On retrouve ici le soin apporté par l’auteur aux personnages, à leur psychologie, l’attention portée à l’enfance et à l’enfant, son goût prononcé pour une structure polyphonique du récit afin de mieux rendre compte de la complexité des mondes futurs qu’il a imaginés. A ce titre, il faut non seulement lire Vortex mais aussi Spin et surtout Axis, qui prend un tout autre sens avec ce troisième volume. Vortex,  par sa valeur romanesque, montre aussi que la science-fiction est un genre littéraire à part entière et que Robert Charles Wilson est un de ses meilleurs auteurs. Lisez-le.



Sylvain Bonnet 

 

 

Robert Charles Wilson, Vortex, Denoël, "lunes d’encre", traduit de l’anglais (US) par Gilles Goullet, illustration de couverture de Manchu, août 2012, 20 €

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