"Black-out", dans les pièges du voyage dans le temps

Black-out, 1er tome de Blitz, se situe dans une grande tradition de la science-fiction, celle du voyage dans le temps et de ses conséquences, dont le cycle de La Patrouille du temps de Poul Anderson constitue l’exemple le plus achevé. Connie Willis, qui a remporté le prix Hugo en 2011 avec cet ouvrage, s’est fait une spécialité de ce type d’histoire. Ce roman a plusieurs ambitions : par l’ampleur de la reconstitution historique, l’auteur cherche le dépaysement ; par sa réflexion sur le temps, elle cherche à nous insuffler une espèce de vertige ; par son utilisation du suspense - par rapport au devenir des personnages, et des Londoniens -, elle cherche à nous émouvoir pour nous impliquer dans l’ouvrage. Reste à savoir si Black-out tient toutes ses promesses.

 

Séjour étudiant dans le passé

Université d’Oxford, dans le futur : dans le cadre de leurs recherches, Merope, Michaël et Polly, de jeunes historiens, doivent, sous la direction de James Dunworthy, remonter le temps dans le but d’entrer en contact direct avec les évènements et les populations étudiées. Tous trois sont envoyées en 1940 en Angleterre, afin d’observer les réactions de la population anglaise durant la 1ère année de la seconde guerre mondiale. Merope devient bonne dans un manoir et s’occupe d’enfants des classes populaires envoyés à la campagne pour leur sécurité. Michaël prend l’identité d’un correspondant de guerre et part pour Dunkerque, où l’armée anglaise se concentre pour être évacuée suite à la manœuvre allemande d’encerclement. Quant à Polly, elle est envoyée en Septembre 1940 au moment du Blitz et prend un emploi de vendeuse dans un grand magasin londonien.


Tout se passe à merveille, jusqu’à ce que Mike se retrouve impliqué dans l’évacuation et sauve des soldats : il est donc intervenu dans l’histoire, ce qui a pu changer le cours des évènements…

 

Un roman historique autant qu’un roman de science-fiction


L’auteur s’est visiblement beaucoup documentée sur la société anglaise, la vie quotidienne durant le blitz.  L’ouvrage fourmille de détails et d’emblée, saluons l’effort car il s’agit d’un de ses points forts. On s’intéresse également  à une foule de personnages secondaires croisés par nos trois historiens - mention spéciale aux enfants gardés par Merope, insupportables garnements - et à Sir Godfrey, acteur  shakespearien qui fait répéter une pièce de théâtre dans le métro pendant les bombardements. L’auteur avait visiblement autant envie d’écrire un roman historique qu’un ouvrage de science-fiction.

 

Des contradictions structurelles


Ce roman est volumineux - 670 pages en comptant le glossaire -, ce qui en soi n’est pas un problème ; il est aussi plein de longueurs. En partie parce que l’aspect « reconstitution historique » entre en conflit avec l’aspect « sf », dont il ralentit le déroulement. La dimension « roman historique », plein de descriptions de la vie quotidienne londonienne, heurte les nécessités d’une intrigue de genre qui doit comporter de l’action : 400 pages sont nécessaires pour arriver à une des questions centrales du livre : les actions de nos historiens ont-elles changé la nature du temps ?


L’auteur a également pris le parti de beaucoup dialoguer son roman. Force est pour le critique de constater que nombre de dialogues n’apportent que peu à l’histoire. Et c’est finalement dû au fait que Willis va au fond de son sujet : il s’agit d’historiens, qui sont là pour étudier, et leur matière première, ce sont ces gens du passé qu’ils observent. Mais le lecteur peut finalement se lasser, car beaucoup de dialogues auraient pu être remplacés par des passages narratifs.


Enfin, sans en dévoiler le détail, le cliffhanger, qui prépare le 2nd tome, aurait gagné à être plus percutant.


Black-out laisse une impression mitigée. Parler de ratage sans avoir lu la suite est prématuré. Si Willis a conçu son histoire sur 1200 pages, il est possible que le 2nd tome permette au cycle de gagner en ampleur, tant par ses ambitions que par sa conclusion. On aurait cependant aimé, vu le dessein de l’auteur, ses qualités et sa documentation, un roman plus maîtrisé, moins enlisé dans les sables mouvants de ce thème, superbe mais bien rebattu, du voyage dans le temps.


Sylvain Bonnet


Connie Willis, Black-out, traduit de l’anglais (US) par Joëlle Wintrebert, éditions Bragelonne, 672 pages, 25€

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