Heiner Müller : justifications et illustrations

Certaines conversations peuvent paraître absconses à qui connaît peu l'histoire du théâtre comme celle de la RDA. Néanmoins elle permet de comprendre l'importance d'une oeuvre qui pour beaucoup est le pendant et le pendant de celle de Brecht. Jourdheuil les deux dramaturges au firmament du théâtre du XXe siècle (avec celle de Jean Genêt). Cela paraît à maints égards discutable. Mais là n'est pas la question.

Ecrivain "officiel" d'Allemagne, Müller est exclu de l'Union des Ecrivains dès 1961. Mais il avait déjà assuré une certaine notoriété intellectuelle et politique. Dès ses premiers succès intra-muros, le dramaturge en profite pour réviser la "situation" (en sens sartrien) de l'oeuvre de Brecht qu'il veut sortir à tout prix d'une esthétique canonique où malgré tout elle s'était prise les pieds (si on en excepte comme le fait Muller les expérimentations inachevées.

Ce dernier comme ses amis sous-estimèrent le vent de protestation qui s'empara de le RDA et conduisit à la destruction du Mur de Berlin. L'auteur participa à ce mouvement plus en suiveur qu'en acteur mais ses oeuvres précédentes purent "parler" pour lui. Emporté par la spirale du succès il écrit après la chute du mur des poèmes et ne se risque plus à écrire pour le théâtre comme s'il avait désormais perdu pied. Il se contente à la fin de sa vie de rassembler ses souvenirs et ses divers interviews nécessaire à une ultime pièce secondaire "Germania 3 Les Spectres de Mort-homme".

Exposé au séisme du nouvel ordre politique l'auteur tente de surnager en reprenant ses questions récurrentes : transformation de l'occident, passé nazi et postmodernité rampante, permanence des énergies criminelles , création artistique, puissance des nouveaux moyens de diffusion et réunification de l'Allemagne bien sûr. L'oeuvre reste marquée par l'influence de Walter Benjamin. Elle lui permit de se soustraire à la tentation de l'orthodoxie marxiste pure et dure, de creuser de nouvelles voies et de s'ouvrir à des artistes "bourgeois" (Baudelaire, les Surréalistes par exemple).

Cette influence majeure lui permet de "quitter" un certain marxiste pour une nouvelle idéologie messianique plus indépendante en rupture avec une certaine idée de la littérature et de l'art qui donne à son oeuvre un relief particulier. Ce livre permet d'ouvrir l'oeuvre à sa propre évolution. Elle l'oeuvre, en dépit de certaines pesanteurs, à une durée. Par delà la mort de l'écrivain son théâtre garde un force de crise. Elle permet encore de nous parler. Plus peut-être de celle de Brecht dont il fut en quelque sorte l'héritier.

Jean-Paul Gavard-Perret

Heiner Muller, Conversations (1975-1995), édition préparée et présentée par Jean Joudheuil, traduit de l'allemand par J-Louis Besson, J-Pierre Morel et Jourdheuil, Editions de Minuit, 2019, 368 p., 29 €

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