"Psychopathe", la maîtrise absolue du thriller psychiatrique par Keith Ablow

Le meilleur psychiatre itinérant des Etats-Unis ne revient jamais travailler deux fois au même institut, il faut des cas neufs, toujours inconnus, et particulièrement lourds pour assouvir sa soif de souffrance, qu'il aspire littéralement comme un vampire le sang dont il a besoin pour vivre. Pour assagir ses propres pulsions incontrôlables qu'il connaît et qu'il ne peut pas voir en face, Jonah soigne les autres, se repaît de leurs histoires avec un talent tel qu'il parvient à inspirer une confiance naturelle et quasi immédiate. Et quand il est vide, seul avec ses propres démons - car son passé est lourd et la clé de ses actes - il devient le « tueur des autoroutes », attaque la première personne qui n'aura pas voulu lui faire l'aveu ultime de son intimité : il sympathise, obtient quelques confidences, en demande plus encore et, s'il y a refus, il ne contrôle plus rien et c'est une carotide de plus qui est tranchée, le temps pour lui de prendre sa victime dans ses bras et de compatir avec elle de son sort funeste.


« Il était convaincu d'avoir entrepris un voyage magnifique, mais il savait aussi que le chemin était ardu, tout comme celui du Christ trouvant Dieu en lui et aidant les autres à le trouver en eux. / La différence était que Jonah était résolu à éviter la croix, résolu à terminer dans cette vie cette tâche qui lui était assignée - même si cela nécessitait d'affronter le diable. » 


Cette pulsion est un chemin de croix, au sens strict et biblique : les étapes qui le mènent vers la céleste envolée pour la libération de son âme et celles de ses victimes expiatoires. Sont sacrifiés ceux qui ne veulent pas se libérer par la parole et Jonah, ange et démon, recueille comme un suc précieux l'ultime souffrance des âmes mourant dans ses bras. 


« La destruction pure n'apaise que les monstres. »


Pris par une pulsion encore plus sombre, et dont il ne se souviendra pas lui-même, il tue sauvagement, coupe les têtes et, alors que ses victimes « normales » ne relevaient d'aucun type particulier, celles qu'il décapite dans sa folie pourraient ressembler à sa propre mère. Cette mère qui est au centre de sa vie, qu'il adule comme son « ange » et dont le masque, s'il tombe, révèlera une réalité cruelle et fera basculer complètement Jonah dans la folie.


Comme dans les précédents romans de Keith Ablow, la résolution ne peut venir que d'une analyse réelle du mal original, si bien que c'est un double de Jonah, le Dr Clevenger, qui est appelé par le FBI comme un dernier espoir. Portant lui-même sa part d'ombre, Clevenger va correspondre avec Jonah par presse interposée en une cure à distance inédite, plus pour le soigner que pour l'attraper. Cette relation particulière noue une relation très forte entre les deux hommes, comme un seul être duel où chacun serait l'incarnation d'une facette avec celle de l'autre en dessous. Johan et Clevenger sont embarqués ensemble dans une découverte de soi, où se surajoute les relations aux autres pour former des caractères complets, intenses et particuliers à Ablow. 


Expert psychiatre lui-même, ce n'est pas le crime qui est au centre de ses romans, mais la monstruosité, la bête en l'homme, et, plus encore, les causes de l'installation de la bête en l'homme. Et à cet exercice, Ablow est un maître incontesté.

Loïc Di Stefano

Keith Ablow, Psychopathe, éditions du Rocher, « thriller », novembre 2004, 337 pages,20,90 euros

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