"La Tentation des ténèbres", Andrew Lyons orchestre une magistrale descente aux enfers

Promis à un bel avenir, fils d’un avocat de renom et petit ami d’une très belle jeune femme, Jake Conason a tout pour être heureux. Les portes de la Gloire s’ouvrent devant ses pas, Harvard sans doute… n’eût été un geste peut-être malencontreux, mais qui va réorienter tout son destin. Et lui faire découvrir le monstre caché au fond de lui.


À la suite d’une dispute avec son amie, Jake est passablement soul dehors sur un banc alors qu’une fête de la fraternité à laquelle il appartient bat son plein. Il entend des pleurs, découvre Kelly, archétype de la belle idiote, qui vient de perdre son fiancé. Les consolations se transforment en attouchements et vite ces deux-là finissent au lit. Les regrets, les couples qui se reforment, tout pourrait être oublié. Mais un soir, lors d’un rendez-vous secret, Kelly apprend à Jake qu’elle est enceinte et que c’est de lui, elle le sent, elle le sait. Rien à faire, elle va le garder, sa foi interdit l’avortement. La vie rêvée s’écroule… En la quittant sur le parking, il a un geste involontaire et brusque : elle chute, s’enfonce un morceau de ciment dans le crâne. Elle va agoniser, mourir ! Premier dilemme : la conduire à l’hôpital ? Le doute s’installe, le chemin si bien tracé de sa vie devient soudain tortueux. Jake est pris par une pulsion incroyable : il conduit Kelly au plus profond du parc et s’acharne sur elle à coup de barre à mine, la laissant pour morte, sans témoins, sans plus rien à raconter sur leur relation.

Un dérapage d’une rare violence mais qui va surtout amener Jake à découvrir qu’au fond de lui, sous le couvert d’une pulsion incontrôlable, vit un monstre froid et jouisseur. Ce n’est pas le même qu’American Psycho, qui avait conscience de sa pulsion. Ici, c’est l’inconscient qui prend les commandes, pour petit à petit faire naître le diable qui est en lui, réprimé par l'éducation et l'envie de bien faire, de mettre ses pas dans ceux de son père :

« Cette noirceur toute nouvelle, ou qui sommeillait en moi depuis longtemps, était aussi confortable qu’une paire de vieilles chaussures. J’ignore d’où elle venait, mais elle était réelle et puissante. On était presque bien, ici, tous les deux. / Si quelques mois plus tôt on m’avait raconté les choses que j’avais faites ces derniers temps, j’aurais décrété qu’aucun homme bien n’était capable d’un tel comportement. Le simple fait de penser à mes crimes m’aurait rendu malade. »

Tout ce qui va s’ensuivre est lié à cet acte unique : il faudra encore tuer, mentir, soudoyer, tromper et finalement devenir autre pour préserver son secret et son avenir. Il faudra calculer, surtout, encore et encore prévoir et jouer des coups d’avance pour porter les doutes sur d’autres (il est quand même soupçonné et le flic qui mène l’enquête ne le sent pas bien, ce petit gars qui semble trop attaché à la victime) et échapper aux regards accusateurs de plusieurs soupçonneux — desquels il devra aussi se déprendre, on verra avec régal et étonnement de quelle manière ! Tout sera bon pour survivre, Jake Conason est devenu un prédateur, un loup, qui n'épargnera personne...

Écris à la première personne avec un style à la fois simple et rapide, cette « confession » d’un homme qui fait le point sur une partie de sa vie est d’une noirceur implacable, et parfaitement cynique. On se joue de la morale avec la dernière force et cela est parfaitement jouissif. Un roman noir très consciencieusement ancré dans le réel et la pénurie de conscience qui donne de l'humain un visage des plus inquiétant, mais tellement humain !


Loïc Di Stefano

Andrew Lyons, La Tentation des ténèbres, traduit de l'anglais (USA) par Renaud Morin, Albin Michel, « spécial suspens », mars 2006, 311 pages, 18,50 €

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