"Momentum", le grand jeu

L’énigme du titre

Momentum appartient au genre du thriller mais c’est avant tout un OVNI. Son titre constitue déjà un programme en soi : Momentum est en effet une expression québécoise qui signifie, en gros, le résultat d’un avantage, généralement psychologique, acquis lors d’une situation favorable. Terme idéal pour une partie d’échec, métaphore parfaite pour un roman d’espionnage se déroulant sur une période de vingt cinq ans.

La Guerre Froide n’est pas finie

Québec, fin 2012. Des élections générales se préparent, sur fond de corruption des vieux partis et voient la montée en puissance du mouvement de la nouvelle démocratie mené par Gilles Drouin. Sorte de monsieur tout le monde, quidam sans passé et sans aspérité, ce dernier joue de son charisme, jouant à la fois sur des thèmes souverainistes et  populistes auprès d’un peuple québécois toujours méfiant envers les élites, particulièrement les anglophones. Sa popularité finit par attirer l’attention les services secrets français : le général Carignac, ancien chef de la DGSE, sort de sa retraite et arrive chez son ex subordonné, Lefort, reclus dans un coin perdu de la belle province, accompagné de deux gorilles et d’un prisonnier qui n’est autre que l’ambassadeur du Canada en France. Ce dernier s’apprêtait à passer en Russie et finit par leur dévoiler la trame du complot…

Moscou 1985. De jeunes agents jouent Macbeth sous l’œil goguenard de leur metteur en scène, surnommé le Conseiller. Celui-ci les teste, les pousse à bout, les manipule, les endurcit. Son but : les infiltrer au Canada pour une mission de 20 ans devant à terme leur livrer ce pays, avec ses ressources naturelles, au nez et à la barbe des américains. La chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’URSS ne changent rien à cette mission, gérée par Poutine en personne, président de Russie à partir de 1999.

L’apocalypse est pour demain

Loin du tumulte de ce théâtre d’ombres, un cargo transportant des containers remplis d’armes bactériologiques destinés à une future guerre s’échoue non loin des côtes russes et contamine des pêcheurs. L’armée russe envoie un hélicoptère détruire l’épave et son chargement dans le but de mettre fin à la menace. Mais le contenu d’un des containers n’est pas détruit, descend au fond de l’océan, sommeille, mute, jusqu’au jour où…


Qui manipule qui ?

À partir de cette trame, Patrick de Friberg bâtit une intrigue angoissante  baignant dans une atmosphère de fin du monde, que confirme la chute finale. Si on a du mal au début à comprendre l’intérêt d’une telle machination — pourquoi le Québec ? Mais après tout pourquoi pas ? —, la mécanique du livre fonctionne. Le personnage du Conseiller, auquel le privilège de raconter à la première personne est réservée, intrigue, fascine tout autant que le général Carignac et leur duel feutré captive l’attention du lecteur. Au fond, les infiltrés russes sont des victimes de leurs machinations respectives. Formés du temps de la guerre froide, ils continuent de se battre au nom d’une dialectique dépassée par l’histoire et vaine à la veille du désastre final. Ce roman, malgré une narration parfois décousue, finit donc par emporter l’adhésion et tient la distance par rapport aux classiques du genre — type John Le Carré.

Sylvain Bonnet

Patrick de Friberg, Momentum, Goëlette, Avril 2011, 312 pages, 25 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.