Fabrice Colin, "Blue Jay Way" : une intrigue machiavélique

Julien est à la dérive depuis la mort de son père. Il était dans l’avion qui s’est écrasé sur le Pentagone le 11 septembre 2001. En janvier 2002, il rencontre, lors d’une lecture en librairie, Carolyn Gerritsen, une romancière qui, avec deux livres et une poignée de nouvelles, s’est imposée sur la scène littéraire des USA. Il lui propose de l’interviewer pour écrire une étude sur son œuvre. C’est en 2005, alors qu’il est sans projets, que Carolyn parle à Julien de Ryan, son fils de vingt-deux ans. Il vit avec son père, Larry Gordon un producteur, à Los Angeles. Mais, s’il ne communique plus avec sa mère depuis longtemps, il a rompu, depuis peu, avec son père. Elle demande à Julien de nouer des liens avec son fils pour cerner et comprendre son attitude. Larry est d’accord. Il sera rémunéré.

L’arrivée de Julien à Blue Jay Way, la somptueuse villa que vient de faire construire le producteur, passe inaperçue et il reste étranger au clan que fréquente Ryan. Avec sa bande celui-ci se livre aux activités de riches désœuvrés en manque de motivations et d’intérêts. Les contacts entre les deux garçons sont rares et sibyllins. La seule avec qui Julien peut converser est Ashley, la très jeune épouse de Larry. Ils deviennent amants et la passion les amène à être de moins en moins prudents.

Dans la villa, les excès se multiplient avec les drogues, l’alcool, les fêtes déjantées. Ashley disparait. Elle a été assassinée et les morts se multiplient. Julien découvre qu’il se trouve au centre d’un maelström de mensonges, de manipulations de trahisons. Chacun porte un masque qui dissimule une personnalité cruelle et perverse. Le plus difficile, pour ceux qui ont tout, est de vaincre un ennui... mortel.

Avec Blue Jay Way, Fabrice Colin aborde le thriller pour la première fois. Il a cependant, derrière lui, une bibliographie impressionnante de livres, tant pour adultes, qu’adolescents. Sa source principale d’inspiration puisait dans l’Anticipation et le Fantastique, des genres où l’intrigue, même si elle est déportée dans un autre univers, est à construire avec la même minutie que celle d’un polar. De plus, l’auteur excelle dans un genre bien difficile, celui de l’uchronie où il faut conjuguer une intrigue attractive et une cohérence historique.

On retrouve, dans le présent roman, tout ce qui fait l’attrait de ses livres, à savoir, une écriture rigoureuse, fluide, énergique, des dialogues efficaces, un sens singulier du récit et l’envie de raconter de belles histoires.
Avec Blue Jay Way, il prend pour décor l’univers de la jeunesse dorée de Los Angeles, des individus sans envie, sans but, sans objectif ayant tout, et même plus, à leur disposition. Ils trompent alors le temps en s’inventant quelque talent, mais ils se trompent en s’imaginant une vie fictive nourrie de délires.

Fabrice Colin place, ainsi, une intrigue de type policier, dans une atmosphère onirique faite de faux-semblants, de situations et d’attitudes erratiques. Il rend perceptible l’état physique et psychologique d’individus sous l’emprise régulière de drogues et psychotropes. Il restitue l’état d’esprit de ces gens à cheval entre réalité et fiction, entre univers authentique et monde factice générés par la télévision et le cinéma. Il illustre ces microcosmes décalés où la norme est la démesure, ou plutôt, la pseudo démesure, où l’outrance sert de talent, où l’attitude normale, commune est prohibée. Il expose également une galerie « gratinée » de pique-assiettes, de ces cancrelats qui se nourrissent des miettes laissées par le maître financeur. Mais, il pointe aussi la solitude extrême de ces errants, la vacuité de leur existence.

C’est dans ce climat que Fabrice Colin développe une intrigue conçue avec une grande précision, un véritable puzzle. Cette première incursion dans le thriller est une réussite. On ne peut qu’encourager l’auteur à récidiver.

Serge Perraud

Fabrice Colin, Blue Jay Way, Sonatine, février 2012, 496 p. - 22,30 €

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