Jasper Fforde, "La Tyrannie de l’Arc-En-Ciel - tome 1 : La Route de Haut-Safran"

Le narrateur, Edward Rousseau, dit Eddie, débute son récit totalement immergé dans la soupe digestive d’un arbre yateveo. Comme il a eu la « chance » d’atterrir la tête en bas, il mourra noyé dans moins d’une minute plutôt que d’être dissous, vivant, pendant plusieurs semaines. Il se console, car, en quatre jours, il a découvert presque toute la vérité, et qu’il est amoureux de Jane, une Jane qui l’a poussé dans l’arbre, mais en s’excusant. N’est-ce pas l’indice d’un amour naissant ?
Eddie, pour une espièglerie, a été condamné à un mois de Réalignement d’Humilité à Carmin-Est où il devra recenser les chaises. Holden, son père, l’accompagne car comme Swatcheur de Relève Intérimaire, il va remplacer M. Ocre. Celui-ci, suite à une erreur d’auto-diagnostic fatale, a été emporté par le Mildiou.

C’est à Vermillon, alors qu’ils visitent les hauts-lieux touristiques tels que la Carte Mal dessinée, le Jardin Coloré, le Mémorial d’Oz, qu’Holden est amené à soigner un Pourpre victime d’un malaise. Il s’avère que c’est un Gris qui faussetache. Eddie aperçoit une jeune fille qui le séduit. Mais, dès qu’il l’approche, elle lui promet : « Touche-moi encore une fois et je te fracasse ta putain de mâchoire ! ».
À Carmin-Est, l’accueil n’est pas enthousiasmant. Peu après, son père le met en garde : «  Eddie, garde les yeux bien ouverts. Il se passe de drôles de choses, ici. »

Jasper Fforde crée un univers haut en couleurs (C’est le moment ou jamais de l’écrire !). Il invente une colorocratie où tout est couleurs, les noms de lieux, de famille. La perception des coloris conditionne tout. Les individus voient une nuance dominante. Leur rang, leur métier, leur avenir sont déterminés, à la fin de l’enfance lors de l’Ishiharo. Ceux qui distinguent le pourpre sont en haut de la hiérarchie, ceux qui ne voient que du gris, en bas de l’échelle.

C’est un régime dictatorial mis en place après un mystérieux Truc-Qui-S’est-Passé, il y a cinq siècles. Cette hiérarchie intangible ne peut être remise en cause. Les Prévosts de couleur, sorte de commissaires du peuple, font régner un seul mot d’ordre : obéissance et respect à la lettre du Recueil des Règles. Celui-ci, édicté par un certain Munsell, réglemente toute la société dans ses moindres détails. On ne peut s’empêcher de faire l’analogie avec le petit livre rouge de Mao. D’ailleurs, l’auteur semble emprunter beaucoup à cette société chinoise pour imaginer sa Colorocratie. Il évoque, pour définir le recul de cette civilisation, par rapport à celle des Précédents, le Grand-Bond-En-Arrière. Le port de vêtements est réglementé, la forme du nœud de cravate également. Cependant, les dames disposent de vingt-six modèles de robes.

Jasper Fforde menace cette société idéale de l’intérieur. Les Gris sont tellement exploités que la révolte gronde. Des meurtres sont habilement dissimulés. Son personnage principal est alors entrainé dans une enquête à la trame subtile. Bien que l’on connaisse, dès les premières lignes, la situation du héros, l’auteur sait entretenir la tension, en distillant au fur et à mesure, des éléments plus que troublants venant alimenter recherches et découvertes.

L’auteur constitue une galerie de personnages truculents, aux attitudes surprenantes dans cette société de castes décalée. Il prend un soin presque maniaque à en imaginer les détails, et le fait avec beaucoup d’humour et d’à-propos. On sourit beaucoup, on rit face aux trouvailles pour l’adaptation de moyens, des éléments familiers, de la vie quotidienne. Cette nouvelle société est désopilante, tant par la diversité des personnages transposés, que par la richesse des situations qui en résulte.

Il faut saluer le travail de Patrick Dusoulier, qui assure une traduction qui n’a pas dû être facile tous les jours.
La Tyrannie de l’Arc-En-Ciel, se révèle comme un roman remarquable par l’inventivité de l’auteur, l’intérêt de son héros, l’humour omniprésent qui accompagne une intrigue passionnante à suivre. Un premier volet d’une saga qui commence particulièrement bien.

Serge Perraud


Jasper Fforde, La Tyrannie de l’Arc-En-Ciel - tome 1 : "La Route de Haut-Safran", coll. "Littérature générale", Fleuve Noir, novembre 2011, 592 p. - 20,90 €

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