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Trois saisons en enfer ou l’autre vérité du printemps arabe

Il y a tout juste dix ans, le 11 février 2011, une foule en liesse s’empara des rues du Caire pour chasser le président Moubarak. Nous étions en plein Printemps arabe. Terme abscons que seule l’Occident peut inventer. Tant ce sera le fiasco. D’un régime laïc on passa à une dictature islamiste. Belle avancée… Certains commencent enfin à saisir l’ampleur du désastre. Mais quid des exilés ? Quid de l’avenir ?

Mohammed Rabie s’en est emparé. Nous voilà en 2025. L’Égypte est occupée par les Chevaliers de Malte. Le peuple se soumet, une fois de plus. Mais quelques policiers refusent de plier. Parmi eux, le colonel Ahmad Otared. Sniper de son état, il sera posté au sommet de la tour du Caire. Et chargé de nettoyer les rues. Plus il en tue, mieux ce sera. Il faut provoquer une réaction. Que la population se dresse enfin contre l’occupant. L’obliger à réagir… À oublier la résignation. L’impossible stabilité que les Chevaliers tentaient d’imposer.

On se débattait dans le labyrinthe, essayant d’en sortir, dans l’espoir d’une vie meilleure et sans contrainte. Et quand on en sortait, on découvrait qu’on était dans un labyrinthe plus grand et plus complexe, qu’on était simplement passé d’une petite geôle à une grande prison, et que cette stabilité n’était rien d’autre qu’une captivité , que nous préférions parce qu’elle était claire, contrairement au labyrinthe.

Ne vous laissez pas distraire par le quatrième de couverture. Ou les recensions lues ici ou là. La violence et le sexe ne sont pas les deux piliers du livre. Ils n’en sont que les corolaires. La puissance littéraire, la qualité de l’écriture, la réflexion qu'impose le narrateur soumit à travers les âges aux situations les plus audacieuses, périlleuses, place Mohammed Rabie dans les pas de Conrad, d’Orwell ou de Sade. Dans cette quête de creuser dans les ténèbres qui nous enveloppent. De comprendre pourquoi. Je mettrai ma main à couper que Rabie a lu Même les tueurs ont une mère. Récit poignant d’un sniper pendant la guerre civile du Liban. Quête du sens des actes. du rapport entre vie & mort. De cette peur qui noue et libère à la fois. Geste impossible face à l'improbable. Et je sus que la mort est préférable au savoir.

La barbarie, la mort, le renoncement. Trois thèmes qui hantent nos vies. Pions sur un échiquier trop grand pour nous, voilà que l’on nous interdit de vivre. Ou alors sous couvert de vaccin. De masque. Sans rien penser ni dire pour ne pas stigmatiser l’Autre. Victime éternelle. Nous n’avons qu’à baisser l’échine. Et notre vie est notre mort à petit feu. Quid de l’esprit libertaire qui devrait nous habiter ? nous aider à prendre des risques ? à vivre libre ?
Faudra-t-il un massacre pour nous réveiller µ?
Doit-on se résigner pour autant ?

 

Annabelle Hautecontre

 

Mohammed Rabie, Trois saisons en enfer, traduit de l’arabe (Égypte) par Frédéric Lagrange, Sindbad/Actes Sud, coll. Exofictions, février 2021, 352 p.-, 22,80 €

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