"J.-K. Huysmans, le forçat de la vie", biographie du maître par Patrice Locmant

Huysmans, la biographie du centenaire

La biographie commémorative est souvent un exercice contraint auquel doit se plier un spécialiste de l’auteur. Il faut dire que Huysmans est à ce titre très tentant comme assez dissuasif au final : une biographie et une bibliographie d’une densité exceptionnelle, une telle diversité qu’il n’est que rarement traité dans son ensemble.

Tenter de circonscrire une existence aussi riche que celle de Joris-Karl Huysmans en moins de 300 pages, de présenter la richesse de ses relations (on déplorera le manque d’index), l’originalité extrême de sa production, les pans plus ou moins obscurs de sa vie… c’est hors de proportions. Dans un second plan tenter d’aborder cette biographie selon un mode original, qui n’est pas spécifié… c’est très déroutant. Enfin, le faire en évitant toutes ces petites anecdotes plus croustillantes les unes que les autres ou les mêmes lieux communs… cela tient de l’exploit. Patrice Locmant s’en sort avec assez de grâce.

En fait, il faut aborder cette biographie en réalisant que le programme que Huysmans avait donné pour don Bosco (voir l’épigraphe), pouvait s’appliquer à lui-même… Et la biographie de Huysmans permet ce genre d’analyse « corporelle et spirituelle » qui permettrait d’arriver à comprendre son caractère… le texte de Patrice  Locmant y parvient assez bien dans l’ensemble, et le résultat en est d’autant plus intéressant que pour lui, Huysmans est un sujet d’études depuis longtemps.

Cet auteur commença sa carrière en livrant l’un des livres clefs du symbolisme, la continua en rejoignant Zola dans les Soirées de Médan, se révèle être un critique d’art extrêmement avant-gardiste, quitte la phalange réaliste pour se pencher sur les bas-fonds de la société, prostitution et secte sataniste, pour se tourner vers la vie religieuse, et finir sa vie aux portes de la vie monastique. Au long de ce parcours, il est peu de noms de qualité des arts et lettres qui ne l’ont pas connu, admiré ou respecté pour le moins.

Ce parcours exceptionnel est le plus souvent rendu non sur le mode centrifuge, qui tenterait de définir l’homme par son environnement, mais presque exclusivement sur un mode centripète, on tente de tout ramener à l’homme. Le procédé est très intéressant, mais s’il permet de voir un homme déchiré par des drames internes, cela le détache un peu trop du siècle auquel il appartint. Malgré tout, ce n’est qu’un défaut assez marginal. Cependant, cet angle de vue original semble permettre à M. Locmant de faire quelques découvertes sur sa biographie.

On doit dire que pour le reste, l’approche choisie est très féconde : ce n’est pas l’écrivain ou le mondain (dans la mesure où il le fut), mais l’homme tout simplement. Il reste donc à M. Locmant à nous écrire sa biographie littéraire et c’est promis je la lirais avec le même plaisir que celle-ci.

En attendant, après avoir trouvé Patrice Locmant bon pour ces trois derniers livres sur Huysmans, je dois avouer au lecteur que je ne le connais pas plus que vous, mais que je finis par apprécier grandement sa façon de parler d’un auteur que j’aime aussi beaucoup, et qu’il me rend encore plus attachant aujourd’hui qu’hier.

Stéphane Le Couëdic


Patrice Locmant, J.-K. Huysmans, le forçat de la vie, Bartillat, mars 2007, 288 pages, 20 € 


Patrice Locmant a obtenu la Bourse Goncourt de la biographie 2007 pour cette évocation de J.-K. Huysmans

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