Gide & Malraux : l’amitié à toute épreuve

Quand le soufre rencontre la raison, le cocktail est détonant. Le jeune André Malraux, tout auréolé de ses succès d’estime (bibliophile érudit, inlassable curieux, il réalise des livres d’art à tirage limités dans les années 1920 pour des maisons prestigieuses – celles de René-Louis Doyon, Simon Kra ou Daniel-Henri Kahnweiler) se lance dans une expédition en pays khmer. Arrêté pour vol et transport d’objets archéologiques, il est relâché grâce au tollé que ses amis parisiens font et des pressions portées sur le gouvernement. Comme quoi, une fois encore, que vous soyez riche ou misérable, etc.
De retour en 1926 à Paris, il crée sa propre maison d’édition et publie Valéry, Gide, Giraudoux et Morand. Mais cela ne fait pas vivre son homme…
Gaston Gallimard l’engage fin 1928 comme directeur artistique de la NRF. Idée lumineuse. André Malraux va enfin laisser libre cours à tout son génie, le trublion des Lettres sera à l’origine des collections Du monde entier et Les Essais, ou encore plus tard L’Univers des formes (1960-1997) ; et embarquera son patron dans la création de la Galerie de la NRF, lieu d’exposition de pièces archéologiques et d’œuvres d’art.

Mais il sera aussi l’éditeur d’André Gide, son interlocuteur privilégié au sein de la maison de la rue Bottin. Ils se connaissent depuis le début des années 1920. Un rapprochement suite à la publication en revue de deux grands articles de Malraux pour défendre Gide dont les Morceaux choisis (1921) font l’objet d’attaques de la droite réactionnaire. Pour Malraux, Gide est le défenseur de l’esprit français, l’homme qui créé l’état d’esprit d’une époque.

La première rencontre a lieu le 12 mai 1922 au théâtre du Vieux-Colombier.
En 1927 sera publié par Malraux, alors éditeur d’art, le Roi Candaule illustré par Galanis. De là découlera la venue à la NRF pour épauler Bernard Grasset et ses "éditions extraordinaires". Ce sera donc André Malraux qui prendra en charge André Gide au sein des éditions Gallimard. Lui qui pilotera le chantier pharaonique des quinze volumes des Œuvres complètes. Lui l’homme de confiance. Une amitié qui se poursuit l’été aux fameuses Décades de Pontigny ou lors de mémorables soirées à Pontigny.

Les années 1930 verront les liens se resserrer encore plus avec la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne. Gide s’en alarme quand la diplomatie patine. Les deux amis militent pour le communisme soviétique tout en réaffirmant publiquement leur attachement aux libertés individuelles (sic). Comme quoi le grand écart politique ne date pas d’hier…
Gide & Malraux président ensemble des congrès antifascistes (1933-1936) sous la houlette de Moscou. Ils iront même à Berlin en 1934 pour intercéder contre l’emprisonnement des communistes accusés d’avoir incendié le Reichstag. Ils iront chacun leur tour en URSS : Malraux en 1934, Gide en 1936.
Ils demeureront proches durant l’Occupation, se fréquentant dans leurs résidences du Sud de la France. Une amitié indéfectible jusqu’à la mort de Gide en 1951.

Si vous êtes parisien, vous pouvez, jusqu’au 19 mai 2018, visiter l’exposition André Malraux, éditeur d’extraordinaire à la Galerie Gallimard, 30 rue de l’université, un parcours qui retrace ce parcours méconnu du ministre de De Gaulle à travers de nombreux documents inédits. Lesquels se retrouvent dans ce bel album. Quelque 200 lettres, articles, notes qui peignent la relation entre ces deux écrivains, ces deux hommes engagés qui ont toujours conçu la littérature comme une action politique.

Annabelle Hautecontre

Jean-Pierre Prévost, André Gide et André Malraux. L’amitié à l’œuvre (1922-1951), avant-propos de Peter Schnyder, 210x270, relié, 250 illustrations, Gallimard, coll. "Albums Beaux Livres", avril 2018, 248 p. – 35 euros

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