Helène Cixous derrière les grilles du temps

Dans le centre ville d’Osnabrück, en Basse-Saxe, existent rue de la Vieille-Synagogue et le chemin des sorcières. C'est par cette ruelle que ces dernières étaient conduites au bûcher et plus tard les juifs l'empruntèrent avant que les nazis ne les assassinent.
En cet endroit surgit un vide nommé "Les Ruines". Mais il est tout autant plein. Il devient une réserve de la mémoire et de l’oubli. Entre deux élégantes maisons et derrière des grillages  où sont fixés quatre panneaux de cuivre qui font le même récit chiffré daté du 9 novembre 1938 et sa nuit d’épouvante, demeure une collection de grosses pierres. Ce sont les os de la Vieille Synagogue – en vérité elle était jeune et belle, dans sa trentième année, précise Hélène Cixous.

A la place d'un chant orphique, l'auteur crée – non seulement au nom des sorcières d'antan et des juifs sous le nazisme – un appel à l'ouverture. Et celle qui se veut en quelque sorte une Kafka au féminin défend parmi les exclus  les femmes victimes de "phallogocentrisme" dans ce récit en multi-synchronicité. Elle démonte ainsi les représentations et les discours officiels au moment où s'éclairent les taches aveugles de l'altérité.
La créatrice s'engage dans le vivant – via le passé – pour un appel vers le futur. Elle sait que la haine n'est pas un possible mais un ferment de guerre, un refus de la création de l'autre, une revendication éliminatrice fruit d'une toute puissance masculine. Elle prouve aussi que la haine est narcissique, s'attaque à tout ce qui est la vie parce qu'elle en demeure privée. C'est depuis la nuit des temps une consommatrice jalouse.

Hélène Cixous montre comment se crée le désir morbide et premier de s'emparer que de ce que l'autre est. Héritière de Montaigne, de Shakespeare et de Stendhal même si elle n'en possède pas l'humour et la provocation, elle crée une poétique particulièrement intense contre tout ce qui saccage et contre ceux qui s'emploient au nom de leur domination et croyance à "dégommer" le reste de l'humanité.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Hélène Cixous, Ruines bien rangées, coll. Blanche, Gallimard, octobre 2020, 160 p.-, 15 €
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