Les saints et leurs peintres

Jacopo da Varazze, en français Jacques de Voragine, archevêque de Gênes et chroniqueur italien du Moyen Âge, écrivit entre 1261 et 1266  La Légende dorée, la Legenda aurea.
Ce célèbre ouvrage relatait la vie d'un grand nombre de saints, de saintes et de martyrs chrétiens. Les copies se multiplièrent. On le lisait à haute voix un peu partout. De nombreux artistes du Trecento et du Quattrocento illustrèrent le texte. Giotto, Jan van Eyck, Fra Angelico, Piero della Francesca, Andrea Mantegna, Hans Memling et d’autres s’en inspirèrent pour exécuter certaines de leurs œuvres, que ce soit des fresques, des retables, des polyptiques. Il s’agissait d’un texte qui n’est pas seulement un bréviaire de la foi, mais qui, écrit à l’intention du grand public, se lit encore aujourd’hui comme un véritable roman, naïf et poétique, plein d’aventures et de rêves écrivait dans le journal Le Monde la critique et poétesse Jacqueline Risset.

L’univers que composent les saints est sans limites, d’une infinie variété en raison de leurs histoires personnelles, des miracles qui les accompagnent, des péripéties selon le mot de l’auteur, parfois incroyables au sens premier du terme, qui président à leurs existences. C’est en outre un univers qui concerne toutes les époques, tous les lieux, toutes les classes sociales, tous les types de sainteté et de martyre.
S’il y a bien des existences où le merveilleux côtoie le tragique, le sublime s’allie au symbolique, la pénitence rencontre l’extase, c’est assurément celles des saints et des saintes. Dans ce long et mouvant cortège qui traverse les siècles, quand on parle de supplices ou de providence, les femmes ne sont pas moins épargnées ou protégées que les hommes.
Quelle torture pour le corps est-t-elle la plus crucifiante, les flèches qui percent celui de Sébastien ou la roue dont les pointes de métal trouent celui de Catherine d’Alexandrie ? Y a-t-il des degrés dans les mortifications et les expiations, les mérites et les méditations ?

Thomas Becket, l’archevêque assassiné dans la cathédrale de Cantorbéry par ses fidèles est-il plus admirable ou moins vénérable que Rose de Lima qui prie dans la solitude ?
Pour rendre compte visuellement de vies aussi extraordinaires, afin que le regard des croyants comme celui des agnostiques et des athées en reçoive à tout le moins en perçoive les prouesses, les faiblesses et les hardiesses, les artistes ont rivalisé de talents, d’inventivité, de créativité. Une tapisserie du XVe siècle de Guigone de Salins qui fonda les hospices de Beaune élit Eloy, Cranach l’Ancien représente Maurice d’Agaune qui venait de la province romaine d’Égypte en habit de chevalier très germanique, Philippe de Champaigne peint en brun dans une sobre huile sur toile Bruno, le moine-ermite, Rubens exécute un Christophe en géant puissant et herculéen (panneau de retable de 1611-1614), Georges de La Tour compose un Jérôme à genoux, à moitié nu, repentant, studieux, Le Greco signe dans son meilleur style un somptueux tableau rappelant le noble geste de Martin partageant son manteau de légionnaire romain avec un mendiant, idéalisant les êtres par des corps longilignes et dans des couleurs comme toujours audacieuses.
Siméon le Stylite, qui passa trente de sa vie, debout sur une colonne haute de seize mètres, apparaît serein sur une mosaïque du Ve siècle à Saint-Marc de Venise. Que ce soit Vermeer, Ribera, Caravage, Puvis de Chavannes, tous les peintres font vivre ces figures dans d’admirables scènes ou dans des instants pathétiques.
Enseignant, photographe, essayiste, Robert Bared déploie dans ce livre l’épopée terrestre autant que céleste de ces héros oubliés ou glorifiés qui ont tous séduit les artistes en raison des liens rares et privilégiés qu’ils pouvaient proposer à une iconographie à la fois des plus esthétique et des plus édificatrice. Il accompagne cette cohorte au long de l’histoire, il relate les réalités de ces vies mystiques, cite Bossuet et Bernanos, précise les attributs qui caractérisent leurs parcours, comme la palme, le faucon, l’astrolabe, le trèfle ou le livre d’heures, mentionne les patronages et note que, dans un monde où tout semble s’effacer, le sacré heureusement demeure.

Dominique Vergnon

Robert Bared, Les Saints. Aventure spirituelle et représentation, 200x260 mm, 101 illustrations, Hazan, novembre 2023, 192 p.-, 39,95 €

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