Céline (1894-1961), auteur de Voyage au bout de la nuit a révolutionné la littérature française. Il est controversé pour ses violents pamphlets antisémites. Biographie de Louis-Ferdinand Céline

Louis-Ferdinand Céline : Merdre alors !

Céline, l’écrivain qui dérange, encore et toujours : les polémiques ne font finalement qu’accroître la puissance du verbe de l’auteur, lui aussi polémiste, et parfois pour des causes funestes. Céline, c’est la langue crue, le parler brut, le cri proche du crachat, enrobé dans la musique dissonante du familier et du violent. D’une injure l’autre, d’un brillant trait l’autre…
 
 

 

Huit coups de gueule

Ce petit opuscule compile huit entretiens ou discours de Céline (il n’était que peu friand de déclarations publiques, on ne lui en connaît qu’une, l’Hommage à Zola présent dans le livre datant de 1933). Le solitaire réprouvé distille à la fois son ressentiment et ses frustrations, mais aussi la redoutable efficacité de sa parole rocailleuse. On trouvera des entretiens radiophoniques jamais diffusés, des prises de position audacieuses, sur Zola, sur Rabelais, sur la langue française en général. 
 
Le style en est inimitable : le docteur Destouches parle de sa banlieue natale avec la nostalgie terreuse des années enfuies, il évoque son inadaptation à la vie, il s’épanche sur les trésors de l’oralité qu’il convoque superbement à l’occasion de ces conversations captées mais peu reproduites. Il y a de l’Antonin Artaud en lui, de cette écorchure de l’âme qui lie insensiblement le martyr des asiles au praticien condamné.

« Je ne sais pas jouir de la vie », incroyable dialogue où Céline aborde des sujets intimes : à la question de la place de l’amour dans ses romans, il répond : « Aucune. Doit pas y en avoir. ». L’écrivain révèle que son écriture n’est qu’un exercice de style, sans allusion à sa vie ou à ses goûts ; « je ne sais pas jouir de la vie, je ne vis pas. »

Céline, l’ascète insoupçonné, lui qui ponctue la plupart de ses phrases de points d’exclamations : « J’étais là en juin 1940 ! Quel badaboum ! Salpêtre ! Fumées ! Poussières d’Histoire !...Quel dénouement ! Vingt siècles à l’eau !... L’eau de Bezons ! ». Céline dresse en trois mots des portraits sonores qui résonnent sur l’immensité des paysages qu’il peint, il parvient dans ces courts textes, qui ne sont pas pour la plupart écrits mais dits, on devrait écrire plutôt récités, à unir le talent du conteur à celui de l’artisan des mots.

Un texte rare et passionnant, et parmi les mieux écrits, se trouve dans ce livre : « À l’agité du bocal », de 1948. Réponse enhardie à Jean-Paul Sartre, nommé Jean-Baptiste Sartre ou J.-B. S. Scatologie, fiel, humeur bilieuse, haine contenue par les rênes de l’humour destructeur du prisonnier, ce texte ravit par les images audacieuses qu’il contient et surtout par le portrait des vainqueurs dressé par un collaborateur déçu et enfermé. La poésie et le lyrisme de la défaite, jetés à la face du lecteur comme un torchon sale : voilà une impression qui confirme le titre du livre, emprunté à un tout petit texte écrit en 1957 et qui ferme l’ouvrage. Un livre court, mais sur lequel on reviendra pour mieux s’imprégner de cette ‘petite musique’ si particulière qui oscille entre la berceuse nerveuse et le hurlement haineux qui porta ombrage sur la vie de Céline.

La notice biographique de Bernadette Dubois, en fin d’ouvrage, s’intitule « Le style contre les idées ». C’était la volonté de l’auteur de dresser un mur, autre prison métaphorique, entre ses détracteurs et ses accusateurs, mur dont le mortier est fait des mots vigoureux de ce pamphlétaire d’exception.


Romain Estorc

Louis-Ferdinand Céline, présenté par Raphaël Sorin, L'Argot est né de la haine!, André Versaille, mars 2010, 96 pages, 5 euros.
 

 

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