"Bach", l'ogre de musique, belle petite biographie

Fils prodige d'une longue lignée de musiciens, père et professeur d'une succession de grands musiciens, Johann Sebastian Bach (1685-1750) est sans aucun doute le compositeur qui a le plus marqué à la fois son temps, son art et témoigné de l'évolution de la musique occidentale. D'abord d'influence religieuse, ce qui ne le quittera jamais, la musique de Bach est une offrande constante au plaisir du jeu, un vieux maître dira même de lui après une représentation qu'il réinvente l'improvisation. Allié à une maîtrise inégalée de nombreux instruments (1), d'une connaissance technique des factures proprement dite, notamment de l'orgue, qui le fait être un spécialiste recherché pour tester les nouveaux instruments, Bach est le prototype du génie qui vit pour et par son art. Et Jean-Luc Macia réussit en peu de pages à donner un portrait saisissant de Bach en instrumentiste luthérien, ce qui est peut-être la meilleure manière d'entrer dans l'immensité Bach...

Car il faut d'abord rendre justice à Bach, ce que nombre de ses successeurs immédiats se sont empressés de ne pas faire, hormis Mozart qui le reconnaît comme une influence majeure : Bach est un phénomène. Schubert a fournit énormément, puis est mort très tôt, laissant une œuvre de génie fulgurante. Mais Bach a construit avec une même intensité, une même pesanteur et dans des conditions parfois très laborieuses (des commandes de monarques pour lesquels il n'est finalement qu'un employé, des conflits politiques internes aux villes où il exerce sont art…), une œuvre immense : entre 1723 et 1730, exemple saisissant, il compose près de trois mille cantates ! et rien n'est fait sans le respect essentiel de ce luthérien profond envers cette lettre vers Dieu qu'est la musique. Trois mille fois, avec ardeur, avec l'exigence d'un art rigoureux et beau, regarder les beautés du ciel et et en donner à entendre quelque chose par sa musique.  

« [...] son génie fut de réussir [dans son oeuvre d'inspiration française, italienne ou anglaise] un patchwork où le contrepoint et la rigueur allemande ne sont jamais bien loin. » 

Pour Bach, luthérien convaincu, la musique est le chemin de Dieu. Tout est construit selon les principes établis par Luther dans ses chorals, les mouvements, les contrepoints, et toutes les influences qui vont nourrir sa musique, répondront à ce souci constant, qui se retrouve dans ses livrets pédagogiques et dans l'enseignement qu'il prodigua à ses nombreux élèves (dont ses fils) : « mettre la théologie à la disposition du croyant par une panoplie de chants fondamentaux se référant aux grands moments de l'année lithurgique. » Ses influences multiples, de Buxthehude à Vivaldi, n'altèreront pas cette vision supérieure de sa mission. Et Jean-Luc Macia insiste avec justesse sur la portée religieuse de la musique de Bach, dans ses pièces profanes également, faisant du musicien un véritable prédicateur, qui n'hésite pas à composer des messes non comme accompagnement du discours liturgique mais comme véritable seconde voix, voire comme unique passerelle vers Dieu. Il fait le lien entre l'art et le sacré avec une rigueur morale et une qualité musicale inégalée.

Cette production grandiose est pourtant soumise à toutes les contraintes d'une œuvre de commande qui récoltera certes tous les honneurs (et l'on découvre un Bach très disposé à les recevoir, qui vba au devant d'eux même…) mais n'en reste pas moins un employé, au service du monarque et de ses divertissements musicaux. Malgré cela, rien de gratuit, rien de léger jeté facilement sur la partition, tout prouve au contraire que son génie mathématique (il a été reconnu comme tel) se développe par la musique au service d'une esthétique rigoureuse et visionnaire, si bien qu'on a pu jouer n'importe quelle composition de Bach, transposer l'orchestre en un trio ou un pianoforte seul, le passer à la sauce jazz même (les étonnants Play Bach de Jacques Loussier), jamais sa musique n'a semblée dénaturée, parce qu'elle atteint à une certaine vérité, une essence, qui ne lasse pas.

Il ne semble pas y avoir de moment aussi riche et ample dans l'histoire de la musique d'un compositeur s'accaparant toutes les formes musicales pour les allier à ses propres exigences — celle du respect religieux du choral, d'inspiration luthérienne —, que Bach. Et Jean-Luc Macia rend admirablement, dans cet excercice de brièveté, la vie de l'homme nourri de musique, vivant et agissant pour et par la musique.  

Loïc Di Stefano

(1) « Tout démontre d'ailleurs que Johann Sebastian pouvait sans effort jouer de presque tous les instruments de l'orchestre, et certains [notamment orgue, clavecin, violon] avec une destérité exceptionnelle » Ce qui explique qu'il ait pu, le premier et le seul, produire pour le violon (les Sonates et partitas pour violon seul - BWV 1001 à 1006) et le violoncelle (Suites pour violoncelle solo - BWV 1070 à 1012) des livres entiers de variations… 

Jean-Luc Macia, Johann Sebastian Bach, Actes sud, "classica", janvier 2006, 160 pages, indications discographiques, repères bibliographiques, index, 15 euros

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